Sujet de dissertation philosophique proposé aux élèves de section ES en DST le 14 janvier 2006
Sur trente et une copies corrigées, trois seulement atteignent la moyenne, la meilleure note se cantonnant à 11. Avec 6,33 de moyenne pour ce devoir, on peut parler d'échec. Tentons d'en analyser les causes.
1. Détermination du problème
1.1. Définitions
La méthode recommande de définir les termes du sujet avant tout autre considération, pour une raison simple à comprendre : si vous ne comprenez pas les termes de la question, vous répondrez forcément à côté. Que dire de telle copie qui achève sa conclusion sur cette phrase : "Que considère-t-on comme un besoin et où se trouve la limite entre ce qui est nécessaire et ce qui est superflu ?" Trop tard pour s'en inquiéter ! Le candidat signe là un hors sujet intégral puisqu'il avoue ne pas savoir au juste ce que signifie le mot "besoin".
(Ci-contre, détail de La mort et la vie de Klimt.)
Il faut définir, non seulement dès l'introduction, mais bien avant, lors du travail d'analyse préalable à toute élaboration de plan. En l'occurrence, il convenait de distinguer avec précision le désir du besoin. Les copies ne remplissent quasi jamais cette condition nécessaire ; au contraire, elles versent parfois dans d'affligeants aveux d'impuissance. Ainsi : "Le désir comme le besoin sont deux notions très ambiguës." On eût souhaité, pourtant, que l'élève affrontât cette difficulté au lieu de la pointer.
Parfois, cette négligence à définir (ignorance ? paresse ?) conduit à des confusions impardonnables. Contrairement à ce que s'imaginent sept élèves, Epicure, dans la Lettre à Ménécée (qu'aucune copie n'a su citer) ne classe pas du tout les "besoins" entre naturels et nécessaires, naturels et non-nécessaires, et vains, mais bien les "désirs". Un instant de réflexion permettait d'ailleurs de s'apercevoir que "besoin non-nécessaire" constitue un oxymore.
Le désir se définit classiquement comme une tendance spontanée et consciente vers une fin connue, jugée ou imaginée comme bonne. La définition proposée par Spinoza (cité dans une seule copie), "appétit avec conscience de lui-même", était également recevable. Le désir s'oppose ainsi à l'assouvissement (puisqu'il vise une fin non encore atteinte), à la sérénité (puisque l'individu qui désire s'en anime), mais aussi au spleen (cette satisfaction déprimante, proche de l'ennui, décrite par Baudelaire). Il se distinguait de l'envie, de l'ambition, de la volonté.
Que l'on compare ces remarques avec les "définitions" trouvées dans les copies. L'une d'entre elle me définit le désir comme "attraction vers un objet" - confondant ainsi l'attraction gravitationnelle et l'attirance psychologique. Une autre énonce : "le désir révèle la volonté d'acquérir quelque chose" - trois erreurs d'une seule phrase car le désir ne porte pas toujours sur une chose (on peut désirer une personne, ou une abstraction comme la sagesse) ; il n'aspire pas toujours à acquérir (certains désirs portent sur ce que l'on est, non sur ce que l'on a) ; et il ne "révèle" pas une "volonté" - cette dernière pouvant se définir comme "désir réfléchi", soit une catégorie particulière du désir (d'autres désirs ne relèvent pas de la volonté, mais du fantasme, de la rêverie, de l'espérance etc.). Variante de cette définition, celle-ci, scandaleuse : "sentiment de volonté d'acquérir quelque chose ou quelqu'un." Acquérir quelqu'un ! L'auteur de cette phrase se rend-il bien compte de ce qu'il écrit ? Enfin, plus proche du délire que de la philosophie, une copie annonce que le désir "est synonyme de possession". Voilà une excellente nouvelle pour tous ceux qui n'ont pas les moyens de leurs ambitions !
Le correcteur ressent, à la lecture de telles copies, la morbide impression que les candidats n'ont jamais ressenti de désir. Il s'en afflige toujours, il s'en alarme souvent, il en désespère parfois. Si vous ne brûlez pas de désir à dix-huit ans, si vous ne philosophez pas avec vos tripes sur un sujet aussi propice, on vous plaint d'avance pour la vie banale, monotone et prévisible que vous vous préparez.
(Ci-contre, Moi et le village de Chagall.)
Si les définitions du désir s'avèrent souvent maladroites ou incomplètes, celles du besoin brillent par leur absence. Un flou extrême règne dans les copies sur cette question. Le besoin se définit philosophiquement comme une nécessité vitale. Stricto sensu : car la nécessité s'entend de ce qui ne peut pas ne pas être. Le besoin désigne donc les conditions sans lesquelles l'existence physiologique est rigoureusement impossible - c'est-à-dire qu'un besoin insatisfait entraîne immanquablement la mort à brève échéance. Dans un sens élargi, le besoin désigne une misère financière ("être dans le besoin"). Connoté négativement, il s'oppose à la satisfaction, à la complétude ou encore au superflu. Relatif aux processus métaboliques, Il se distingue du malheur, notion morale.
L'économie, quant à elle, distingue les "besoins primaires" (proches de ce que nous appelons "besoin" ci-dessus) des "besoins secondaires", à savoir des exigences qui ne sont pas à proprement parler vitales, mais sans lesquelles la vie en société s'avère bien compliquée (besoin de transport, de communication, de loisirs etc.). On aurait donc pu attendre d'élèves de ES qu'ils aient saisi le sens de la question, reformulable de la sorte : les termes "besoins secondaires" sont-ils bien choisis, ou faudrait-il plutôt les qualifier de simples désirs ?
1.2. Forme de la question
"Rien d'autre" ; "ne...que" : quelle sévérité ! Le libellé s'avère strict, rigide, même. On pourrait pratiquement le réécrire : la notion de désir est-elle superflue ?
Par ailleurs, le verbe du libellé est "désirer" : il s'agit d'un verbe d'action, non d'un verbe prescriptif comme "devoir" ou "falloir". La question n'était pas du tout de savoir si l'on doit ne désirer que ce dont on a besoin, mais bien plutôt de déterminer ce qu'est le désir.
1.3. Relations entre les termes
Le sentiment de désir masque-t-il un besoin au sens le plus fort du terme ? Derrière tout désir, même d'apparence futile (désir de tel vêtement de marque, par exemple) se cache-t-il un besoin impérieux ? (Ci-contre, Melancholia du peintre hongrois Nandor Lajos Varga).
On ne demandait pas du tout si l'individu désire assouvir ses besoins : de cela, nul ne doute et le sujet le sous-entendait (si les hommes ne désirent rien d'autre que ce dont ils ont besoin, alors ils "désirent" toujours assouvir un besoin). Les copies qui débutèrent sur ces considérations perdaient un temps précieux.
Du reste, dans la mesure où ce que les individus "devraient" faire n'est pas en cause, il fallait utiliser Epicure avec beaucoup de prudence. Certes, il affirme que, pour être heureux, l'individu ne soit satisfaire que ses désirs naturels et nécessaires (boire, manger, dormir - autrement dit ses besoins) et faire taire en lui tous les autres désirs ; mais cela signifie bien qu'il existe des désirs superflus (et qu'Epicure lui-même les ressent), puisqu'il s'agit d'y résister. Employer Epicure pour montrer que les hommes ne désirent que ce dont ils ont besoin, grave contresens commis par vingt-deux copies, prouvait que le candidat n'a pas compris, voire pas lu, Epicure, alors pourtant que la Lettre à Ménécée ne présente, au niveau Terminale, aucune difficulté de lecture vraiment insurmontable. (Je me désole que seules deux copies aient correctement restitué les thèses épicuriennes.)
Dans cette même perspective, les considérations sur le champ accordé au désir dans la poursuite du bonheur s'avéraient hors sujet. Bien des III s'égaraient de la sorte, et trois copies réussirent même le tour de force de se structurer intégralement autour de la question : "Pour être heureux, les hommes doivent-ils ne désirer satisfaire que leurs besoins primaires ?", sujet très différent du libellé.
Bilan de la première étape
Plus des trois quarts des copies ont fourni une dissertation sur ce modèle :
I/ On désire ce dont on a besoin (ou, dans quelques cas : "Certains hommes ne désirent que ce dont ils ont besoin").
II/ Certains désirs dépassent le besoin stricto sensu.
III/ Au choix, lorsqu'il existe un III : le désir est-il bon ? le désir est-il utile ? faut-il se méfier du désir dans la recherche du bonheur ? les besoins sont-ils plus importants que les envies superficielles ? la passion est-elle dangereuse ?
A y bien regarder, le I sous-entend qu'il existe des désirs au-delà du besoin ; quant au III, quand il dit quelque chose, il insiste encore sur l'existence de désirs portant sur le superflu. Le correcteur se trouve alors devant le dilemme suivant. Soit il estime que, tout de même, le II entre dans le sujet, donc que la copie vaut un tiers des points (noté sur 07, selon le brio de l'expression, la richesse des exemples, l'exactitude des références) ; soit il estime que, faute d'antithèse, la copie ne soulève aucun problème réel - qu'en conséquence il ne s'agit pas du tout de philosophie - donc qu'il convient de mettre 00. La moyenne de la classe révèle mon choix pour ce devoir - ceci soit dit sans que je veuille pour autant trompetter ma mansuétude.
Il me paraît également nécessaire de souligner un point à mes yeux capital. Selon la méthode, cette première étape de détermination du problème s'achève, à peu de choses près, quarante minutes après le début de l'épreuve. Si les candidats avaient procédé à l'analyse ci-dessus, ils auraient évité, pour la plupart, le hors sujet. Dans leur écrasante majorité, ils ne l'ont pas fait. La preuve : vingt-trois élèves sur trente et un avaient quitté la salle trois quarts d'heure avant la fin de l'épreuve. Ce temps "économisé" correspond exactement à la durée d'une bonne analyse. On en conclut avec certitude que les résultats très décevants récoltés lors de ce DST reflètent des problèmes de méthode, et non une insuffisance du raisonnement ou des connaissances. Observation, somme toute, plutôt encourageante.
2. Réponse spontanée et réponse paradoxale justifiées
La réponse spontanée s'appuie sur l'expérience de l'insatisfaction. Tous, nous nous sommes un jour sentis frustrés dans un de nos désirs et cependant cette privation ne nous fut ni fatale, ni même nocive. De tels désirs ne peuvent donc s'analyser comme des besoins.
Réponse paradoxale : en réalité, derrière tous nos désirs, même en apparence superficiels, se cachent des besoins au sens le plus fort du terme, notamment un besoin de reconnaissance sociale.
3. Argumentation de la thèse et de l'antithèse
3.1. Thèse : les hommes peuvent désirer ce dont ils n'ont pas vraiment besoin
D'emblée, le recours à Epicure, avec un exposé clair des "désirs vains", permettait de montrer que les humains aspirent à des objets qui ne leur sont pas vitaux. On pouvait ajouter que, même si les besoins primaires varient selon les individus (le diabétique a besoin d'insuline - il fallait ici nuancer Epicure qui juge les désirs primaires identiques pour tous), ils sont néanmoins en nombre limités (boire, manger, dormir, peut-être s'abriter : ci-contre, Tom Hanks dans Cast away, film de Robert Zemekis) ; au contraire, les désirs innombrables portent sur les objets les plus divers. L'opposition entre désirs et besoins semble valide.
Un autre argument, plus subtil, consistait à rappeler que, depuis vingt mille ans, le métabolisme humain n'a pas beaucoup changé : aussi les besoins métaboliques sont-ils demeurés identiques. Le fait même que nous puissions aspirer à un objet qui n'existait pas voici cent ans prouve qu'une telle inclination relève du désir, et non du besoin.
Enfin, dans la mesure où le besoin insatisfait entraîne la mort, il s'ensuit que tout besoin doit pouvoir être satisfait, sans quoi on ne comprend pas comment l'espèce humaine aurait pu survivre jusqu'à présent. La satisfaction des besoins relève du champ du possible (c'est même pour cela qu'Epicure ne conserve que les désirs naturels et nécessaires : faciles à satisfaire, ces désirs ne connaissent jamais l'échec ni la frustration). Au contraire, le désir peut porter sur l'impossible (désirer arrêter le temps, par exemple), critère qui le distingue aisément du besoin.
3.2. Antithèse : tout désir émane d'un besoin qu'il manifeste
Une distinction conceptuelle s'impose entre le besoin et les moyens de satisfaire son besoin. Le besoin de manger est bien le même chez un Suisse et chez un Japonais, mais tous deux doivent tenir compte de leur environnement immédiat pour le satisfaire. Le premier se nourrit plutôt de laitages et de viande carnée, le second de riz et de poisson. Cela ne les empêche en rien de désirer manger autre chose (le Suisse peut désirer du riz, le Japonais peut désirer du fromage) ; mais ces multiples "désirs" possibles n'en découlent pas moins d'un même besoin, auquel ils se résument. Dans ce cas, la frustration sans effets graves sur la santé ne permet pas d'affirmer que la tendance à l'origine de cette frustration n'était qu'un désir et non un besoin.
Dans cette même perspective, un très grand nombre de "désirs" d'apparence superficielle (désir de tel vêtement de marque, de telle voiture, désir de gloire ou de richesse) émanent d'un profond besoin de reconnaissance sociale (ci-contre, Le Bar des Folies-Bergères de Manet). Hegel montre que l'aspiration à être reconnue par une autre Conscience de soi constitue non seulement le "désir" le plus profond de toute Conscience de soi, mais encore sa manière d'être même. Il s'agit donc bien d'un besoin, au sens le plus fort du terme. D'autres besoins (de beauté, de vérité, de sagesse) peuvent également déterminer de nombreux autres "désirs". Primo Levi, déporté à Auschwitz, torturé par la faim, raconte au chapitre 11 de Si c'est un Homme que, dans une heure terrible où il sent ses forces proches de l'abandonner, il s'évertue à montrer la magnifique ordonnance de la Divine Comédie de Dante à l'un de ses compagnons d'infortune. Il écrit cette phrase incroyable : "Je donnerais ma soupe d'aujoud'hui pour pouvoir trouve la jonction entre "non ne avevo alcuna" et la fin." Comment mieux dire que satisfaire une aspiration à la beauté peut nous sauver la vie ? Il s'agit donc stricto sensu d'un besoin, et non d'un "simple" désir.
Enfin, comme l'explique Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes et comme nous l'enseigne l'économie, les humains parviennent à inventer des "commodités", des objets technologiques qui "dégénèrent en vrais besoins" : "la privation en dev[ient] beaucoup plus cruelle que la possession n'en [est] douce". Les besoins "secondaires", sans être vitaux, n'en sont pas moins des besoins stricto sensu, tant notre vie serait compliquée par leur privation. Les troubles psychologiques qui accompagnent le sevrage de drogue, d'alcool ou de tabac prouvent non seulement une dépendance, mais un besoin.
4. La synthèse
Plusieurs pistes s'ouvraient en III, et tendaient vers des conclusions diverses.
1) La plus simple consistait sans doute à distinguer besoin et sentiment du besoin. En dénonçant les illusions sur soi-même qu'induit la conscience réfléchie, il était possible de rétablir la différence entre besoin et désir.
2) Recourir à Freud en III permettait de montrer que nos désirs en apparence les plus abstraits relèvent de pulsions quasi-animales, proches du besoin. Néanmoins, dans la mesure où la consience refoule ces pulsions au quotidien, elles ne peuvent s'identifier à des besoins vitaux (puisqu'elles tolèrent de ne pas être directement assouvies).
3) Une excellente recherche, d'inspiration stoïcienne, pouvait remarquer qu'un besoin authentique doit pouvoir être satisfait par nos propres forces - sinon, on ne comprend pas comment nous avons pu survivre jusqu'à présent ; or, certaines envies portent sur des objets qui échappent entièrement à notre puissance. Je puis souhaiter, par exemple, que tel athlète remporte telle compétition sportive : ce souhait, qui échappe complètement à mon pouvoir, s'analyse nécessairement comme un désir, et non comme un besoin. En réaffirmant la célèbre distinction conceptuelle entre "ce qui dépend de nous" et "ce qui ne dépend pas de nous", laquelle ouvre le Manuel d'Epictète, on pouvait refonder la distinction entre désir et besoin.
4) Sous réserve d'inverser l'ordre des deux premières parties présentées ci-dessus, il était possible de montrer, avec Aristote, que tout humain aspire naturellement au bonheur. Une telle "aspiration naturelle", si impérieuse, au "Souverain Bien", s'analyse comme un besoin radical propre à déterminer les inclinations les plus diverses. Tous nos désirs se résoudraient ainsi dans un besoin de bonheur (on remarquera l'énorme différence entre cette approche et celle, souvent trouvée dans les copies, selon laquelle "si on veut être heureux, il ne faut désirer que ce dont on a besoin"). On pouvait également retenir cette approche tout en conservant l'ordre thèse-antithèse ci-dessus, en intégrant le propos sur le bonheur en fin de II - à titre tout à fait exceptionnel, il était possible de concevoir un plan en deux parties articulé de la sorte.
5) Enfin, et je regrette beaucoup qu'aucune copie ne se soit avisée de cette route, les humains possèdent cette faculté tout à fait singulière et paradoxale de pouvoir aspirer à se soustraire à leurs propres besoins. L'ascète qui entreprend un jeune de plusieurs semaines, le suicidaire qui décide d'en finir avec toute cette souffrance, le révolutionnaire qui préfère mourir debout que vivre à genoux, se présentent comme autant d'images de cette volonté d'échapper à leurs besoins ; mais bien entendu, dans la mesure où il s'agit de surmonter les besoins vitaux, ces aspirations ne peuvent s'analyser comme des besoins "vitaux". On doit donc les considére comme des désirs. La question se résolvait ainsi dans ses propres termes.
Quelques arguments invalides et aveux maladroits
Pour finir, j'ai trouvé dans les copies des arguments ou des phrases qu'il me paraît nécessaire de dénoncer. Un élève m'écrit que les besoins primaires sont les mêmes pour tous. Le contre-exemple du diabétique prouve le contraire. Un autre m'affirme que, quand on est dans le besoin, on ne désire rien. Il faut vraiment une extrême naïveté pour croire cela, et une totale inexpérience de la misère. Encore une fois, le chapitre 11 du livre de Primo Levi prouve le contraire. Enfin, un élève m'écrit froidement que "tout est une question de point de vue", pendant que trois autres affirment dédaigneusement que "le philosophe atteint sa vérité". Pour mémoire, la vérité (ainsi 2 + 2 = 4) n'est aucunement une "question de point de vue" : une fois atteinte, elle s'affirme comme universelle. "Chacun sa vérité" est une proposition insensée. Pour rappel, le relativisme n'est pas seulement une solution de facilité antiphilosophique ; c'est aussi une position aussi idiote qu'intenable : en effet, qui affirme "à chacun sa vérité", pose cette idée comme une vérité universelle, ce qui constitue une contradiction pure et simple.
Neuf copies condamnent nos "sociétés matérialistes de consommation". D'abord, on peine à comprendre l'emploi du pluriel dans ce tour. Ensuite, de nombreuses raisons pousseraient à penser que cettte prétendue "société de consommation" n'est, à y bien regarder, qu'un cliché très contestable. Le succès constant de superstitions comme l'astrologie, la croyance aux phénomènes surnaturels, l'essor des "spiritualités", la soif d'idéal, les rêveries - parfois réalisées - du "retour à la terre", le succès du "bio", l'inquiétude pour l'environnement, le souci du "commerce équitable", prouvent des tendances anti-consuméristes profondes. Notre société est peut-être moins religieuse que les précédentes, mais elle n'est probablement pas moins spirituelle.
Dans d'autres copies, on trouve des aveux qui connduisent plutôt à plaindre l'auteur qu'à louer sa clairvoyance. Que penser d'un élève de dix-huit ans qui écrit : "Le plaisir n'est pas nécessaire" ? De cet autre qui affirme : "L'amour n'est pas indispensable à l'être humain", avant d'ajouter que "l'amour n'apporte aucun élément à l'état physiologique de l'homme" ? Pour information, je vous souhaite vivement de tomber amoureux-se pendant l'année de Terminale : l'amour vous "dope" littéralement pour six mois - la production d'hormones qu'il entraîne intensifie vos capacités de concentration et de mémorisation, facilite la gestion du stress, renforce vos défenses immunitaires ainsi que vos capacités pulmonaires et cardiaques. Vive l'amour !
Pour finir, on croise parfois des phrases qu'on craint de comprendre : "Il existe des désirs non-nécessaires qui sont juste présents pour "déranger" notre conscience (désir de mort, de vol...) mais sont source de plaisir." Bigre ! Tel autre candidat avoue froidement son avidité lorsqu'il affirme : "Plus on possède, plus on désire." Un troisième prétend que "le bonheur n'est pas possible quand on ne vit plus que pour l'être aimé" - comment mieux afficher son égoïsme ? Lors de la relecture, de telles sentences devraient être prudemment pesées.