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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Cours intégral sur le Prince, de Machiavel (II)

Pour rappel, le texte intégral de l’œuvre traduit en français est disponible ici. Une version en italien est disponible ici.



Cours n°2
La ruse, les apparences, la réalité




L’histoire a retenu essentiellement du Prince la phrase célèbre : « La fin justifie les moyens ». Il s’agit de faire flèche de tout bois sans le moindre scrupule. Le mensonge, la dissimulation, l’exploitation des faiblesses de l’adversaire, les « combines », les pièges, les manœuvres dolosives, les exécutions sommaires, voire l’alliance avec la mafia (ainsi que le gouvernement des Etats-Unis l’a fait afin d’organiser le débarquement de Sicile à l’été 1943), aucune perversion, aucun crime ne doit faire reculer le politique conscient. Aucune considération morale ne doit le détourner de son but. L’efficacité, rien que l’efficacité : et au diable la justice.

Il est tout de même étonnant que cette phrase sur la fin et les moyens ne figure nulle part sous la plume de Machiavel, et qu’on lui prête à tort une sentence bien trop schématique pour servir de résumé à sa doctrine. Si on ose ouvrir le Prince, on découvrira, en lieu et place des propos d’un gredin ou d’un brigand, une réflexion précise sur les rapports entre apparences et réalité.


I. Les stratagèmes présentés dans le Prince


1) Les embuscades

Les jeux « stratégique » font un large emploi des stratagèmes, c’est-à-dire, stricto sensu, de procédés habiles consistant à plonger un adversaire dans l’erreur. Se croyant en sécurité, appâté par un avantage apparent, il tombe dans le piège et précipite sa défaite. Certains mats exemplaires aux échecs s’appuient par exemple sur un sacrifice de dame (ainsi le célèbre « mat de Legal »). Ce qui est vrai de jeux stratégiques devrait, à plus forte raison, l’être encore lorsqu’il ne s’agit plus de s’amuser, mais que la guerre a lieu, ou que l’on gouverne un pays.

Il serait alors raisonnable d’attendre du Prince qu’il explorât longuement cet aspect de la politique ; de fait, le chapitre VIII s’intitule : « De ceux qui sont parvenus par des crimes à la monarchie » (sous-entendu : et ils ont bien fait, puisqu’ils ont rempli leurs ambitions) ; mais Machiavel déçoit notre attente. S’il relate plusieurs embuscades, celles-ci ne sont que très grossièrement des stratagèmes. Il leur manque l’habileté psychologique qui caractérise la ruse. Machiavel d’ailleurs ne les loue pas. Le massacre de l’élite syracusaine par les hommes de main d’Agathocle (premier exemple proposé) reçoit le qualificatif de « scélératesse », de « trahison » ; quant à Agathocle lui-même, Machiavel l’appelle « cruel » et même « inhumain ». Quelques pages plus tôt, narrant la prodigieuse ascension de Cesare Borgia, Machiavel raconte le piège qu’il tendit aux familles Orsini et aux Vitelli, ses adversaires à Rome : « Il [Borgia] se tourna vers la ruse. Il sut si bien dissimuler ses pensées que les Orsini se réconcilièrent avec lui par l’intermédiaire du seigneur Paolo. Avec celui-ci le duc [Borgia] ne manqua d’aucune espèce d’égard pour le rassurer, lui donnant de l’argent, des vêtements et des chevaux, si bien que leur ingénuité les conduisit à Sinigallia entre ses mains. » « Ingénuité », le mot est faible. Machiavel écrit « simplicità loro », « leur simplicité d’esprit » (au sens fort : la déficience mentale est quasi explicite). L’accent semble mis plutôt sur l’imprudente sottise des victimes que sur l’habileté du meurtrier.

En fait, seules deux ruses stricto sensu sont présentées dans le Prince. La première apparaît au chapitre VII (« Des monarchies nouvelles que l’on acquiert par les armes des autres et la fortune »). Il s’agit de la nomination de Remirro de Orco à la tête de la Romagne. L’autre figure au chapitre XIX : il s’agit de la manière dont Septime Sévère s’est débarrassé de ses rivaux.


2) Les deux ruses

Ayant soumis cette province par la force, Cesare Borgia y installe pour gouverneur son plus cruel lieutenant, le fameux Remirro de Orco, qui s’emploie, avec une brutalité sanglante, à réduire toutes les poches de résistance. Après quelque temps, Borgia revient en Romagne et tient un lit de justice. Inévitablement, un habitant, plus brave ou plus fou que les autres, ose porter plainte devant le duc contre les atrocités commises par de Orco. Feignant l’ignorance de tels crimes, le duc fait mettre son second aux fers et dépêche une enquête qui conclut à la culpabilité du prévenu. « Ayant saisi l’occasion sur ce point, un matin à Cesena il le fit mettre en deux morceaux sur la place […]. La férocité d’un tel spectacle rendit le peuple à la fois satisfait et stupéfait. » Résumons : par cette seule ruse, Borgia a pacifié la Romagne, passe dorénavant pour un prince juste auprès de ses sujets, et en prime s’est débarrassé d’un second qui, à terme, aurait pu devenir gênant ou menaçant. D’une pierre trois coups. Chapeau bas.

L’autre ruse, celle du chapitre XIX, explique comment Sévère, proclamé empereur à Rome, devait composer avec deux rivaux, l’un (Niger) proclamé empereur par les légions d’Asie, et Albin (stationné avec ses troupes en Europe occidentale), autre aspirant à l’empire. Sévère convainquit Albin, sous promesse d’empire partagé, de marcher avec lui contre Niger. Sitôt ce dernier écarté, Sévère n’eut évidemment rien de plus pressé que de trahir son allié et de le tuer.


3) Dans quels cas recourir à la ruse ?

Machiavel semble bien faire l’éloge de cette ruse ; au chapitre VII, surtout, chiffre hautement symbolique à la Renaissance. Il désigne la complétude (Dieu a créé le monde en sept jours, il existe sept vertus, sept sciences et sept planètes…). C’est le chiffre de l’accomplissement au sens où l’on parle, par exemple, d’un pianiste « accompli ». Notons encore que l’arcane majeure VII d’un jeu de Tarots est celle du Char triomphal. On peut comprendre que pour Machiavel, la ruse parachève le prince et lui fait atteindre la complétude, la perfection ; mais en même temps, il convient de remarquer que ce chapitre VII est le dernier à être annoncé dans le chapitre I (qui forme une sorte d’introduction générale), et dans ce sens, il constitue la fin de la première partie du livre. Entre-temps, parmi les vertus du prince, Machiavel a loué la constance (chapitre II), la prudence et la prévoyance (chapitre III), l’intelligence stratégique (chapitre IV), la détermination (chapitre V), la vaillance et la force (chapitre VI). La ruse achève et orne, comme la pierre de faîte au sommet d’une pyramide, mais ne peut tenir lieu de socle ou d’assise. Un prince lucide ne s’en remettra pas à elle.

Eloge de la ruse, donc, mais éloge tardif et mesuré, d’autant qu’il figure dans un chapitre intitulé : « Des monarchies nouvelles que l’on acquiert par les armes des autres et la fortune » or Machiavel consacre ultérieurement deux chapitres (XII et XIII) à convaincre que le Prince ne doit jamais s’en remettre aux armes d’autrui, si du moins il peut l’éviter. Cesare Borgia lui-même « entra en Romagne avec des armes [armées] auxiliaires [françaises] et prit avec elles Imola et Forlì. Mais ensuite, de telles armes ne lui semblant pas sûres, il se tourna vers les mercenaires […] et il prit à sa solde les Orsini et les Vitelli. Les trouvant ensuite douteuses, déloyales, et périlleuses à manier, il les supprima et se tourna vers des armes qui lui fussent propres. » (XIII). Orsini et Vitelli dont Borgia se débarrassera ensuite par la ruse narrée au chapitre VII. Autrement dit : la ruse sert beaucoup pour s’émanciper des situations de dépendances que la prévoyance et la prudence devraient, en principe, permettre d’éviter – mais auxquelles on est parfois réduit contre son gré. 

Si l’on compare maintenant Cesare Borgia et Sévère, l’on remarque qu’ils firent tous deux usage de leur (unique) ruse au début de leur carrière, alors qu’ils n’étaient pas bien établis, et ces deux ruses ont le même but : permettre à leur auteur de se passer de forces d’appoint pour voler de ses propres ailes. Par ailleurs, ces deux personnages sont qualifiés par Machiavel « d’exceptionnels », un honneur que seul Ferdinand d’Aragon partage (XXI). À tous points de vue, Machiavel semble suggérer que la ruse est peut-être la plus haute qualité du Prince. C’est peut-être même à cette qualité qu’on reconnaît le prince ; mais il en use avec parcimonie, dans des moments précis, et pour quitter la dépendance dans laquelle il se trouve.

A cette figure du prince rusé, Machiavel oppose d’ailleurs, dès le chapitre VI et en quelque sorte « par avance », une figure bien différente, celle du prince qui acquiert une monarchie nouvelle « par ses propres armes et sa vaillance ». Il mentionne notamment Moïse, Cyrus, Romulus et Thésée, et les désigne comme des « prophètes armés ». Non seulement ces Princes n’ont pas besoin de ruse pour garder leur place, mais encore, précise Machiavel, « ceux qui […] deviennent princes par les voies de la vaillance, acquièrent difficilement le pouvoir, mais le gardent facilement » (VI). Par contraste, « ceux qui grâce à la fortune seulement deviennent princes, de simples particuliers qu’ils étaient, le deviennent sans grande peine, mais en ont beaucoup pour se maintenir » (VII). En somme, la ruse apparaît comme une solution de facilité, qui sur le long terme pose peut-être plus de problèmes qu’elle n’en résout, puisqu’elle propulse l’individu sur le trône avant qu’il n’ait assuré à son pouvoir des fondements solides.


II. Le prince, maître des apparences


1) Le projet central du Prince

Ces dernières remarques permettent de dégager les deux questions centrales du Prince. Comment s’emparer du pouvoir ? Une fois au pouvoir, comment s’y maintenir ? Ces deux questions reçoivent des réponses, en quelque sorte, inversement proportionnelles : plus il a été facile d’arriver au pouvoir, plus il sera difficile d’y rester. La seule exception à cette règle est indiquée dès les premières pages, au chapitre II : « pour les Etats héréditaires et accoutumés à la lignée de leur prince, il y a de bien moindres difficultés à les conserver que pour les nouveaux, parce qu’il suffit de ne pas négliger les institutions de ses ancêtres et puis de temporiser avec les événements ». Autrement dit : sauf bourde monumentale, le prince héritier n’a guère de souci à se faire. Le problème de la conquête et de l’exercice du pouvoir se pose essentiellement – et peut-être uniquement – pour les fondateurs de dynasties.

Si seulement, étant un prince fraîchement établi, on pouvait avoir tous les avantages du prince « ancien » (issu d’une lignée bien établie)… Eh bien, justement, Machiavel s’est avisé de cette question : « Les choses susdites », écrit-il au chapitre XXIV (presque à la fin de son livre), « si elles sont sagement observées, font paraître ancien un nouveau prince, et le rendent aussitôt plus sûr et plus solide dans son pouvoir que s’il y avait vieilli ».

« Paraître ». Nous y voilà. Dans un sens, tout l’ouvrage est destiné à rendre le prince maître des apparences.


2) Pourquoi paraître ?

Qu’on lise le Prince avec un peu d’attention, en particulier les chapitres XV à XIX, et on verra que, pour Machiavel, la faculté de paraître autre qu’il n’est (donc de surprendre ses adversaires, de leur couper l’herbe sous le pied, de les forcer à réagir dans l’urgence – et en définitive les pousser à la faute) constitue une qualité fondamentale du prince. Elle lui assure une puissance certaine sur les sujets. Dans le terrible chapitre XVIII, on peut lire : « il est nécessaire [au prince] de savoir bien farder cette nature [déloyale] et d’être un grand simulateur et dissimulateur : les hommes sont si simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper. » Il va sans dire que, pour se faire obéir, une telle tromperie est un moyen beaucoup plus subtil, et tout aussi efficace, que la brutalité, d’autant qu’elle n’occasionne pas de rancunes inextinguibles.

Outre cet instrument de pouvoir, la maîtrise des apparences se trouve rendue indispensable en vertu d’un autre argument. Selon le principe de réalisme et d’efficacité qui polarise tout l’ouvrage, Machiavel écrit avec netteté (XVIII) : « il y a deux façons de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la deuxième aux bêtes. Mais, parce que très souvent la première ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. […] Il faut comprendre qu’un prince, et surtout un nouveau prince, ne peut observer toutes les choses pour lesquelles les hommes sont jugés bons, étant souvent contraint, pour maintenir son pouvoir, d’agir contre sa parole, contre la charité, contre l’humanité, contre la religion. Aussi faut-il qu’il ait un esprit disposé à tourner selon ce que les vents de la fortune et les variations des choses lui commandent, et, comme je l’ai dit plus haut, ne pas s’écarter du bien s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal, y étant contraint. »

La pression des circonstances suspend la morale ; mais, semble nous dire Machiavel, il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on veut être prince, il faut s’attendre à devoir commettre des horreurs. Si l’on ne peut s’y résoudre, alors il vaut mieux céder la place. La politique se distingue du Club Med. Au-delà de cette première leçon, cette même partie du livre (XV-XIX) en porte une seconde : le prince doit à tout prix éviter « le mépris et la haine » de ses sujets. Ce point apparaît tout aussi indispensable que de savoir se plier aux circonstances, et Machiavel va jusqu’à écrire avec une netteté étonnante (XIX) : « si [le peuple] lui est hostile et l’a en haine, [le prince] doit craindre tout et tout le monde. Les Etats bien ordonnés et les princes sages ont soigneusement pensé […] à satisfaire le peuple et à le tenir content ; car c’est l’un des problèmes les plus importants que rencontre un prince. » De même au chapitre IX : « in est nécessaire pour un prince d'avoir l'amitié du peuple; autrement il n'a pas de remède dans l'adversité. » Il faut donc éviter la colère du peuple, et pour cela le prince devrait, autant que possible, manifester les vertus morales : générosité, loyauté, honnêteté, etc.

Pris entre l’étau des circonstances et la nécessité de plaire à son peuple, le prince a donc fort peu de marge de manœuvre, et se voit, qu’il le veuille ou non, réduit à l’hypocrisie : « Pour un prince, donc, il n’est pas nécessaire d’avoir en fait toutes les qualités susdites, mais il est tout à fait nécessaire de paraître les avoir » (XVIII). S’il ne parvient pas à paraître ainsi, il succombera aux périls intérieurs et encourra la colère du peuple ; s’il ne parvient pas à faire le mal en temps voulu, il succombera aux périls extérieurs et sera défait par ses ennemis.


3) L’organisation de l’Etat machiavélien

Répondra-t-on que paraître hypocrite rend méprisable et odieux aux yeux du peuple ? C’est vraiment se leurrer sur les capacités mentales et morales des gens, réplique Machiavel. « Chacun a la capacité de voir, mais peu celle de ressentir [ de comprendre]. Chacun voit ce que vous paraissez, peu ressentent ce que vous êtes. Ce petit nombre n’ose pas s’opposer à l’opinion du grand nombre, qui a la majesté de l’Etat pour le soutenir » (XVIII). Les rares intellectuels qui, parmi les sujets, comprennent le caractère réel de leur prince, comprennent également très bien qu’ils sont trop peu nombreux pour s’opposer à lui s’il a le soutien populaire ; et le prince avisé le sait bien : il cherchera donc plutôt le soutien du peuple que celui de l’élite intellectuelle et morale.

Pour résumer : un Etat bien ordonné, explique Machiavel dans un saisissant contraste avec les Grecs (Platon et Aristote surtout), ne s’organise pas sous la forme d’un gouvernement d’experts dirigeant selon la science un peuple ignorant (donc à bon droit « gouverné », « dirigé » au sens étymologique de ces termes) ; mais au contraire, il s’appuie sur la masse du peuple (ces imbéciles qui ne voient pas la méchanceté du prince derrière son apparente moralité) pour tenir en bride les « éminences grises », toujours susceptibles de comploter. Un Etat efficace fuit la technocratie, et recourt à la démagogie.



III. Le prince, esprit lucide entre tous


Maître des illusions, spécialiste du paraître (on dirait aujourd’hui de la « communication »), le prince doit évidemment, pour sa part, résister aux apparences trompeuses. A la crédulité du peuple s’oppose la prévoyance et la prudence, exposées au chapitre III. Machiavel explique que lorsque l’on perçoit les maux de loin, il est possible d’y remédier correctement. Cette précision de jugement apparaît donc comme l’une des qualités fondamentales du prince.

Cette prévoyance, cette lucidité, ne peuvent exister qu’à la condition que le prince ait une expérience de terrain. Machiavel insiste explicitement à cinq reprises sur ce point.

Au chapitre III, il explique que le prince doit vivre à proximité de ses sujets. C’est le meilleur moyen de conserver ses nouvelles colonies : « en y habitant, on voit naître les désordres, et on peut promptement y remédier ».

Le chapitre XIV, lui, est tout entier destiné à faire la louange de l’expérience de terrain, et à insister sur la nécessité pour le prince de bien connaître son pays, sa géographie, ses accidents de terrain, son climat.

Au chapitre XV, Machiavel précise nettement que son impératif d’efficacité (« écrire des choses utiles ») l’a conduit à préférer « la vérité effective des choses que l’idée que l’on s’en fait. »

Enfin, nous avons déjà insisté (dans ce cours) sur les chapitres XXII (sur les ministres) et XXIII (sur les flatteurs).

Tous ces conseils se résument à un seul : le prince doit, autant que possible, régler sa conduite sur ce qui est, plutôt que sur ce qui devrait être. Pour gouverner, mieux vaut s’en remettre à la science et à la technique qu’aux modèles fournis par la morale, l’imagination ou l’utopie. Ce réalisme par-delà les apparences ou les images permet de gagner un coup d’avance sur les autres (qui, eux, perdent ce temps à se complaire à ces fables) ; de sorte que, par la lucidité, on parvient à entrer dans une temporalité légèrement décalée, légèrement « en avance sur son temps », d’où on peut agir (librement), contraignant les autres à seulement réagir.

En totale rupture avec les Anciens, pour qui la philosophie politique est indissociable de l’éthique et d’une méditation sur le meilleur régime (comme la menèrent Platon, Aristote ou saint Augustin), Machiavel estime tout au contraire que le gouvernant doit se fonder sur une science politique, avec l’efficacité pour seul souci. Par ce déplacement des soucis, qui conduit à une nouvelle appellation de la discipline, on voit ici la modernité totale de Machiavel, et sa profonde actualité. À bien des égards, nos gouvernants actuels ne s’intéressent qu’à l’efficacité de leur action, sans se poser la question de la moralité.



En conclusion, il semble que le prince machiavélien n’est peut-être pas nécessairement machiavélique – la ruse ne s’avère nécessaire que pour quitter la dépendance des armes d’autrui. En revanche, il lui faut impérativement être prévoyant et lucide. En cela, Machiavel n’est pas très éloigné d’Aristote, qui plaçait déjà la prudence au centre de l’art politique. Du reste, il est nécessaire au prince de savoir conserver une liberté de manœuvre, et il lui faut pour cela être maître des apparences.

Pourtant, comme nous l’avons remarqué, la ruse « emblématique » du prince ne saurait faire oublier ces autres qualités primordiales que sont la vaillance et la force.

Suite du cours : cliquez ici.
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A
Très pertinent ! y a t il possibilité d'avoir l'intégralité du cours en pdf ou en version imprimable <br /> je suis passionné de Machival<br /> Bien à vous
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L
Lumineux, remarquable de pédagogie utile finement composée, Adrien, merci beaucoup ! :-)<br /> <br /> Dans le cadre particulier de débats sur le caractère "rusé et dissimulateur" du dieu des Musulmans, Allah, tel que projeté par les auteurs d'une partie du Coran, c'est-à-dire révélant un trait dans ce sens un peu plus prononcé chez le peuple arabe, je cherchais à établir que la ruse n'était pas un caractère absolument négatif, malveillant, et là, vous me servez d'excellentes "pépètes" dans ce sens, tout en m'éduquant mieux à la pensée de Machiavel.<br /> <br /> Remerciements renouvelés et bien cordiaux !
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A
Bien
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