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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Travail, technique, technologie - 3


2) Les vertus du travail et de la technique

A l’élévation mentionnée à l'instant, le travail permet aussi la maîtrise de la nature et, partant, la liberté. Cette idée, examinée par Hegel dans un passage très ardu de la Phénoménologie de l'Esprit (dont on trouvera une bonne présentation ici), paraîtra peut-être plus facile à aborder par son magistral vulgarisateur, Alexandre Kojève.

[À l’issue d’une lutte à mort en vue de s'approprier un bien, l’un des protagonistes, le Maître, a eu le dessus]. Le Maître force l’Esclave à travailler. Et en travaillant, l’Esclave devient maître de la Nature. Or, il n’est devenu l’esclave du Maître que parce que – au prime abord – il était esclave de la Nature, en se solidarisant avec elle et en se subordonnant à ses lois par l’acceptation de l’instinct de conservation. En devenant par le travail maître de la Nature, l’Esclave se libère donc de sa propre nature, de son propre instinct qui le liait à la Nature et qui faisait de lui l’Esclave du Maître. En libérant l’Esclave de la Nature, le travail le libère donc aussi de lui-même, de sa nature d’Esclave : il se libère du Maître. Dans le monde technique transformé par son travail, il règne – ou du moins il régnera un jour – en Maître absolu […]. L’avenir et l’Histoire appartiennent donc non pas au Maître guerrier, qui ou bien meurt ou bien se maintient indéfiniment dans l’identité avec soi-même, mais à l’Esclave travailleur. Celui-ci, en transformant le Monde donné par son travail, transcende le donné et ce qui est déterminé en lui-même par ce donné ; il se dépasse donc, en dépassant aussi le Maître qui est lié au donné qu’il laisse – ne travaillant pas – intact. Si l’angoisse de la mort incarnée pour l’Esclave dans la personne du Maître guerrier est la condition sine qua non du progrès historique, c’est uniquement le travail de l’esclave qui le réalise et le parfait.
Kojève, Introduction à la lecture de Hegel

D'un point de vue purement individuel, l'esclave ne se soumet au maître que dans la mesure où il s'abandonne à son instinct, naturel, de conservation. Aussi l'esclave, dans le premier moment de la
« dialectique », n'est-il pas seulement l'esclave du maître : il est également - surtout - esclave de ses propres penchants. Pourtant, contraint au travail par le maître - sous peine de mort - l'esclave développe des techniques qui lui permettent d'améliorer sa maîtrise de la nature. Aussi peut-il, secouant le joug de ses instincts, se rebeller victorieusement aussi contre son maître qui, lui, faute d'avoir dépassé sa propre condition par le travail, faute d'avoir découvert ses forces et ses faiblesses par la confrontation au réel, reste entièrement soumis à la nature. La caractéristique du travail tient à cette élévation - à cette dénaturation - à laquelle il nous amène. On voit pourquoi, dans un sens très littéral, le maître violent n'a pas d'avenir. En fait, faute de progrès, il n'a même pas de futur puisqu'il reste identique à lui-même, indéfiniment.

L'idée de Hegel place donc la victoire de la liberté par la maîtrise de la Nature, laquelle s'obtient par le développement du travail. Hegel synthétise ainsi le projet de Descartes de nous rendre "comme maître et possesseur de la nature" (Discours de la Méthode, VI, texte intégral ici), ou la vision proposée par Francis Bacon d'une Nouvelle Atlantide (texte intégral consultable en VO ici), utopie fondée sur l'usage systématique du progrès technique en vue de faciliter la vie.

Au-delà de ces avantages individuels, David Hume exalte également le travail dans ses effets sociaux, en particulier dans le passage central de l'essai intitulé Du Raffinement dans les arts (in Essais esthétiques ; l'essai en question, Of Refinement in the Arts, est consultable ici en VO). Hume observe qu'un progrès dans un domaine entraîne des découvertes et des innovations dans d'autres disciplines. Chaque invention est porteuse de conséquences imprévues, souvent très ingénieuses et très profitables. L'introduction du microscope en optique, par exemple, permet l'observation des bactéries en médecine. Plus frappant encore : l'invention du métier à tisser (au cours du XVè siècle ; ci-contre, enluminure d'un manuscrit daté de 1401), destiné à faciliter l'industrie textile, permet la production de toiles très régulières, donc beaucoup plus résistantes, lesquelles font des voiles d'une excellente qualité, qui ne se déchirent pas même dans les plus violentes bourrasques ; et au-delà de ce progrès nautique, ces toiles offrirent aux peintres un support bien plus souple et uniforme que le bois ou l'emplâtre encore utilisés à la Renaissance - d'où des dégradés d'une précision admirable. Il existerait donc, suggère Hume, un
« cercle vertueux » du travail, chaque amélioration technique en amenant d'autres.

Du reste, au-delà du simple essor technologique, le travail peut apparaître, continue Hume, comme le grand civilisateur. L'accroissement de la production entraîne en effet une meilleure répartition des biens de consommation, d'où une élévation du niveau de vie moyen. Ainsi les gens du peuple, rassasiés, correctement vêtus, propriétaires de leurs maisons, ne songent plus à fomenter des révoltes : il devient facile de les gouverner correctement. La paix sociale découle du travail ; richesse économique égale relèvement des moeurs.

Tableautin pastel sous la plume du philosophe écossais ? Ce serait méconnaître un dernier aspect du progrès. Un peuple bien nourri ne songe plus aux nécessités immédiates de l'existence : il dispose de temps libre, de loisirs ; et comment va-t-il l'occuper ? Eh bien, il se livrera à ses passions - par exemple l'amour du jeu, ou la poursuite de la vérité ; mais parmi toutes les passions des humains, l'appât du gain est sans doute la plus répandue. Aussi peut-on gager qu'un peuple libre sera un peuple commerçant, d'autant plus riche qu'il sera plus industrieux. Le gouvernant n'aura alors aucune peine à prélever l'impôt. Avec ces sommes, que pourra faire l'Etat ? mais voyons : corrompre les ennemis, payer des mercenaires et surtout acheter des armes de pointes, lesquelles se sont développées comme toutes les autres sciences et techniques. Grâce au travail, nous allons devenir les maîtres du monde !

Hume écrit vers 1750. Au cours des cent cinquante années à venir, l'Angleterre allait conquérir le plus grand Empire jamais paru sur la face de la Terre, englobant l'Amérique du nord, le sous-continent australien, toute l'Inde, et la moitié de l'Afrique ; un Empire sur lequel, pendant plus de cent ans, le Soleil ne s'est jamais couché ; c'est peu dire que la prédiction de Hume s'est réalisée.


Suite du cours : l'imitation.
 
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