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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Droit, devoir, bonheur - 4


3) Le contrat, la volonté générale

Pour répondre à cette question, Rousseau remonte mentalement à une époque où le droit n'existait pas. Il nomme cette époque "état de nature". Cette expérience de pensée ne constitue pas une idée très originale en 1750 : cette approche était déjà celle de Hobbes un siècle plus tôt, et d'autres philosophes britanniques comme John Locke y avaient également recouru.

Là cependant où Hobbes voyait dans l'état de nature une situation de guerre permanente de chacun contre chacun, et où Locke le conçoit comme une sorte de coexistence pacifique entre individus globalement indifférents les uns aux autres, Rousseau y trouve, quant à lui, le germe de toute association politique : la famille (Du Contrat social, I, 2 ; le livre est disponible ici en texte intégral). Il est naturel aux humains de s'associer pour la procréation et pour la protection de la progéniture, tant du moins que les rejetons demeurent incapables de subvenir à leurs propres besoins ; mais, ajoute aussitôt Rousseau, si la famille perdure une fois que la nouvelle génération s'avère apte à survivre par elle-même, cette association ne dépend plus d'une quelconque nécessité, mais seulement de la volonté des membres de la famille, autrement dit d'une convention.

Ceci posé, cette situation pourrait, en théorie, perdurer, pourvu que le milieu offre assez de ressources aux familles dispersées et indépendantes les unes des autres. Il faut, pour que ces familles s'agrègent, postuler une contrainte supplémentaire. Rousseau procède à cet examen au chapitre 6 du livre I du Contrat social :

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être.
Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se conserver que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert.

C'est bien poussées par la rudesse de l'environnement que les familles sont conduites à s'associer. Quel peut être le contenu de ce pacte d'association ? Il s'agit de se défendre, tous ensemble, contre un danger extérieur, et d'agir de concert. Rousseau résume le problème :

"Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant." Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

Il convient ici de respecter trois impératifs. Primo, un des associés subissant une agression extérieure, tous les autres se retournent contre l'agresseur pour défendre leur associé. Secundo, les associés s'engagent à respecter la personne de tous les autres associés, et de ne pas leur porter atteinte par la force. Tertio, chaque associé s'engage à respecter la propriété privée de tous les autres.

Ce dernier point ne fait pas l'objet de longs développement dans le Contrat social ; pourtant, John Locke y voit l'origine même de l'organisation sociale. En effet, il existe une forme naturelle d'appropriation : le singe qui saisit un fruit dans sa main pour le manger se l'approprie. Chez les humains, capables de façonner des outils, cette appropriation naturelle pose cependant des problèmes ardus : imaginons qu'un bûcheron ait inventé la hache. Après une matinée de travail en forêt, il plante son outil dans une souche et s'éloigne de quelques pas pour déjeuner. Un deuxième individu survient, qui voit la hache, la trouve ingénieuse, et s'en saisit. En l'absence de système juridique protégeant la propriété privée, le bûcheron ne possède aucun recours contre le second individu, lequel ne peut s'analyser comme "voleur" puisqu'il a simplement "trouvé" la hache (exactement comme le singe "trouve" le fruit). Aussi dans les Deux Traités du gouvernement civil téléchargeables ici en VO en texte intégral) John Locke pose-t-il le problème du respect de la propriété comme la source fondamentale de toute organisation politique. Rousseau, lui, reprend la difficulté sans pleinement l'explorer (du moins dans le Contrat social).

En somme, lors de cette association, que se passe-t-il ? Chaque individu se présente devant les autres avec tout ce qu'il possède, et s'engage à respecter la personne de ses associés, de leur porter secours dans le danger, et de respecter leurs biens ; en échange de quoi, tous les autres associés s'engagent de même envers cet individu. Evidemment, l'individu en question n'a aucun intérêt à "garder de côté" un bien qui lui appartiendrait, car ce bien, n'étant pas reconnu par les autres associés, ne serait pas non plus couvert par le droit de propriété, si bien que n'importe qui pourrait s'en emparer sans la moindre conséquence. Rousseau résume :

Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

Ce "pacte social" constitue une solution littéralement géniale :

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.
De plus, l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite quelle ne peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelque droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.
Enfin, chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

Tout est bouleversé, mais tout est conservé : chacun met toute sa personne, toute sa force et tous ses biens au service de la société, en contrepartie de quoi il gagne deux droits fondamentaux : la sûreté de sa personne et la propriété privée de ses biens. Dans un sens, l'association ne modifie pas la situation effective des membres ni leur patrimoine : mais elle ajoute une dimension juridique à leur existence, en leur conférant des devoirs (porter secours, respecter la personne et la propriété d'autrui) et des droits (sûreté et propriété). Chacun a donc tout intérêt à entrer dans cette association, qui ne présente, à y bien regarder, que des avantages : on ne perd rien qu'on ne regagne aussitôt, et on gagne plus de sécurité sans rien perdre en contrepartie. C'est vraiment une solution géniale.

Ce pacte social constitue le fondement même de toutes les sociétés. En fait, il s'agit même de l'acte de naissance de toutes les sociétés : chaque membre reconnaît l'existence de cette société, et reconnaît en faire partie, donc accepte de se soumettre à ses règles. Ensuite, les diverses sociétés peuvent s'organiser en systèmes politiques divers (République, démocratie, aristocratie, monarchie, etc.) ; mais à l'origine d'une société quelconque, on trouve forcément ce pacte social, même de manière tacite, sans lequel cette société n'existerait pas :

Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.
Rousseau, Du Contrat social, livre I, chapitre 6 passim.


Si un des membres viole le pacte social (en brutalisant un coassocié, ou en lui volant un de ses biens, par exemple), il sort, de facto, de la société, et à tous points de vue pratiques et juridiques, les autres membres de la société peuvent le considérer comme une menace extérieure et le traiter comme tel.

Il faut bien comprendre que chaque associé contracte non avec chacun de ses coassociés, mais bien avec "la société" tout entière ; si bien que la composition effective de la communauté peut changer (un des membres peut sortir du pacte - par le décès notamment - ou en être exclu, et d'autres membres peuvent entrer dans le pacte) sans pourtant que les droits et les devoirs de chaque associé changent au fil du temps. Surgit alors, outre les personnes physiques des divers associés qui composent la société, une "personne morale" nouvelle : l'Etat souverain.

D'où vient le droit ? Rousseau répond en deux temps : l'Etat souverain surgit de l'accord des volontés individuelles exprimées par les membres du pacte social ; et le droit (l'ensemble des lois - ci-contre, l'hémicycle de l'Assemblée nationale), somme des décisions prises par l'Etat souverain, s'analyse comme l'expression de la volonté générale. La volonté libre et éclairée constitue, en définitive, l'ultime source du droit. Si la loi s'applique à moi, c'est parce que j'accepte de m'y soumettre ; sans quoi, je me place en retrait de la société tout entière.

(Remarquons que le droit français s'abreuve sans cesse à ses sources rousseauistes. Il est quasi impossible de comprendre le droit français sans avoir lu Du Contrat social.)

Avant d'aller plus loin, juste une remarque : il est évident que les lecteurs majeurs ont non seulement lu la Constitution française, mais encore ont juré de la respecté et l'ont signée, dans un acte formel d'adhésion au pacte social français, et ce avant d'acquérir leurs droits civiques, notamment le droit de vote, n'est-ce pas ? Lors du recensement, vous avez évidemment tous juré sur l'honneur d'obéir à la Constitution. Non ? Comment ça, non ? Alors expliquez-moi, s'il vous plaît, au nom de quoi on vous accorde des droits et on vous impose des devoirs si vous n'y avez pas personnellement et formellement adhéré ? Comment se fait-il qu'on puisse être pleinement citoyen français sans avoir voulu l'être ? Vraiment, je ne comprends pas.


Suite du cours : droits et devoirs.

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G
<br /> <br /> Petite faute de grammaire : <br /> <br /> <br /> ont juré de la respecté<br /> <br /> <br /> respecter plutôt<br /> <br /> <br /> <br />
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