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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La conscience et la subjectivité - 1

Après examen du langage, nous avons admis que la tentative de s’exprimer n’était pas entièrement vaine, à condition que l’élucidation des mots et des pensées s’opère de manière réciproque, dans un mouvement synergique d’approfondissement. Contre le dogmatisme des « réalistes » (ceux qui affirment qu'il « faut être réaliste, c'est comme ça que ça se passe »), nous choisissons de soumettre nos idées à l’épreuve. Que savons-nous de manière certaine ? Question évidemment capitale, puisque tout le reste en dépend : nos idées, mais aussi nos choix politiques, professionnels, familiaux etc. Si vous ne vous posez pas cette question, vos choix ne seront pas éclairés et vous abandonnerez votre vie aux hasards de la Fortune. Seuls des irresponsables, des « inconscients » peuvent vivre sans se poser cette question ; mais dès qu’on la pose, des difficultés très graves se manifestent. (Ci-contre : La condition humaine de René Magritte, 1933.)


I. Notre représentation de la réalité ne reflète pas adéquatement la réalité

1) Les défauts inhérents à nos organes sensoriels

Sextus Empiricus et les sceptiques antiques (Pyrrhon) remarquent que certains voient mieux de loin que de près, tandis que pour d'autres, c'est le contraire ; les daltoniens ne distinguent pas les couleurs, alors que d'autres les distinguent ; quant aux aveugles, ils ne voient rien du tout. D'une personne à l'autre, les perceptions diffèrent considérablement ; et on ne voit pas du tout pour quelle raison on jugerait
« faux », « inexact » ou « erronné » le sentiment de telle personne, qui diffère du nôtre. Nous ne pouvons pas, en effet, accéder directement (par télépathie) aux sentiments et aux pensées d'autrui : dès lors, juger les sentiments d'autrui ne peut jamais s'opérer de manière éclairée. Un tel jugement est toujours injuste. Par esprit de justice, alors, nous devons accepter comme également pertinentes toutes les impressions qu'un même objet peut provoquer. A ce stade, devant telle fleur (ci-contre, une joubarbe) que l'un qualifie de « rose », l'autre de « carmin », le troisième de « pourpre », le cinquième « d'incarnat », le sixième de « rouge », nous ne pouvons absolument pas décider si cette fleur est rose. Plus exactement, il est possible qu'elle ait une couleur déterminée, mais nous ne pouvons pas connaître cette couleur.

Nous devons donc, à ce sujet, réserver notre jugement - ou plus exactement, nous devons cesser de nous fier à nos sensations. Lorsque je vois cette fleur rose, cette perception est immédiate et s'opère, en quelque sorte, malgré moi ; mais me fier à cette perception, l'accueillir comme
« vraie », constitue un mouvement de la pensée très différent de la perception elle-même (voir aussi le cours sur la vérité). On peut appeler ce mouvement « assentiment ». Opérant alors une distinction conceptuelle entre sensation et assentiment, les sceptiques remarquent que nous ne pouvons rien faire pour empêcher nos sensations, sauf à supprimer nos organes sensoriels, à nous arracher les yeux et à nous boucher les oreilles. En revanche, il nous est possible, par la volonté, de retenir notre assentiment, et même de le suspendre. Cette suspension de l'assentiment, précepte central de la philosophie sceptique, se nomme épochê.

Il est évidemment possible de contester cet argument sceptique en l'appliquant à lui-même : dans la mesure où nous n'avons connaissance des opinions des autres que par le biais des perceptions (c'est par l'ouïe que nous prenons connaissance de leurs paroles), et dans la mesure où nos perceptions sont douteuses, alors on ne voit pas du tout pourquoi on se fierait à nos perceptions lorsqu'elles nous informent de l'opinion des autres !

Les sceptiques répondent par un autre argument : sans en référer à autrui, un même objet présente, pour une même personne, différentes propriétés selon les circonstances et les époques. Ainsi,
le vin paraît doux au bien portant et amer au malade ; les endives paraissent répugnantes aux enfants et appétissantes aux adultes. Pour une même personne, d’un moment à l’autre, le monde paraît tellement différent (en raison de la diversité des organes et des états) que tout se passe comme si on changeait de monde. Ce à quoi l'on pourrait encore répliquer : pourquoi donc nous fier à notre mémoire alors que nous mettons en doute nos perceptions ?

Ecartant alors les autres et le souvenir, nous en tenant au présent et à l'individuel, reste encore un grave problème, là encore soulevé par les sceptiques. Dire de cette fleur qu'elle est
« rose », « rouge » ou tout autre couleur, est excessivement réducteur. Si nous voulons être plus précis, nous allons voir des nuances qui nous avaient échappé au premier abord : ici une touche de blanc, là un point gris, ici un détail marron, là une striure prune. A y bien regarder, tous les objets se présentent comme des composés et on ne voit pas du tout pourquoi ni comment nous pourrions qualifier de « vraie » une sensation générale imprécise (imprécise parce que générale). Non seulement nous ne pouvons pas connaître avec certitude la couleur de la fleur, mais encore nous n'avons aucune raison de penser que cette fleur possède bien « une » couleur déterminée.

Nos organes sensoriels, seul accès pour nous au réel, s'avèrent défectueux, inexacts, en tous cas peu fiables. Ils déforment la réalité au moins autant qu'ils ne nous en informent. Dès lors, toute affirmation à propos d'un objet quelconque se trouve entachée d'un risque d'erreur insurmontable : nous ne pouvons donc rien savoir de manière certaine. Il ne nous reste plus, alors, qu'à pratiquer l'épochê, avec dignité si possible. La suspension d'assentiment n'est donc pas, pour les sceptiques, la solution idéale, mais seulement la seule solution raisonnable, qu'on n'atteint d'ailleurs qu'à contrecoeur.


2) La notion de point de vue

Dans le premier chapitre de ses Problèmes de philosophie, Bertrand Russell pose exactement la même question que nous soulevions dans l'introduction du présent cours. Que pouvons-nous savoir d'une manière certaine ? Rapidement, Russell mentionne des arguments sceptiques sur la relativité des sensations qu'une même chose peut produire selon les circonstances :

Pour bien comprendre toute la difficulté, concentrons notre attention sur [une] table. A la vue elle est rectangulaire, de couleur marron et brillante, au toucher elle est lisse, froide et dure ; quand je la frappe, elle rend le son sourd du bois. Quiconque voit et touche la table, ou perçoit ces sons sera d'accord avec cette description, si bien qu'il peut sembler qu'il n'y a là nulle difficulté ; pourtant, dès que nous essayons d'être plus précis, notre embarras commence. Bien que je croie que la table est « réellement » partout de la même couleur, les parties qui réfléchissent la plumière semble plus brillantes que les autres, et certaines semblent blanches à cause de la réflexion.

Argument typiquement sceptique, assez ancien : parce que la table paraît par endroits marron, par endroits jaune, par endroits blanche, cela en même temps, il est impossible, en toute rigueur, de savoir si
« la table » toute entière « est » marron, jaune ou blanche ; pourtant, dira-t-on, l'argument est insuffisant : il suffit de supprimer les effets de réflexion - par exemple en plaçant la table sous une lumière diffuse, pour obtenir une couleur uniforme ; puis on peut, en produisant une lumière blanche, placer la table dans des conditions assez « neutres » pour que sa couleur naturelle apparaisse partout. En somme, si nos sens s'avèrent effectivement défectueux, comme le prétendent les sceptiques, il nous suffit, par la technologie (lunettes, éclairage etc.), de corriger ces défauts. Pourtant, Russell s'empresse de signaler un autre argument, beaucoup plus gênant.

Je sais que si je me déplace ce seront d'autres parties qui réfléchiront la lumière, de sorte que la distribution apparente des couleurs sur la table aura changé. Il s'ensuit que si plusieurs personnes regardent la table au même moment, il n'y en aura pas deux qui verront exactement la même distribution de couleurs, puisque deux personnes différentes ne voient pas la table sous le même angle et que tout changement de point de vue transforme la manière dont la lumière est réfléchie. [...] Il n'en va guère mieux pour la forme de la table. Nous sommes tous habitués à juger des formes « réelles » des choses, et nous le faisons tellement sans réfléchir que nous en venons à croire que nous voyons effectivement les formes réelles. En fait, comme nous devons l'apprendre en nous mettant à dessiner, une même chose apparaît sous des formes différentes selon chaque point de vue. Si notre table est « réellement » rectangulaire, nous la verrons, de presque partout, avec deux angles aigus et deux anges obtus. Si les côtés opposés sont parallèles, il nous semblera qu'ils convergent vers un point éloigné ; et s'ils sont de longueur égale, nous aurons l'impression que le plus proche de nous est plus long.
Russell, Problèmes de philosophie, chapitre I, traduction F. Rivenc

D'un point de vue à l'autre, explique Russell, les objets paraissent différents ; dès lors, pour avoir une idée assez précise de l'objet, il nous faudrait simultanément occuper tous les points de vue possible par rapport à cet objet. Malheureusement, c'est impossible. Nous autres, êtres humains, sommes limités, localisés géographiquement et chronologiquement dans les bornes de notre peau et de notre espérance de vie : donc nous avons nécessairement, à chaque instant, un point de vue, et un seul, sur l’univers. Cette affirmation demeurerait vraie même si nos organes sensoriels étaient parfaits. Alors, notre représentation de l’univers n’est jamais absolue et impartiale : à tout instant, elle est relative à notre position spatiale et temporelle, donc partielle et vraisemblablement déformée.


3) Le drame de la conscience

De même, quand nous regardons le soleil, nous imaginons qu’il est distant de nous d’environ deux cents pieds, et l’erreur ici ne consiste pas dans l’action d’imaginer cela, prise en elle-même, mais en ce que, tandis que nous l’imaginons, nous ignorons la vraie distance du soleil, et la cause de cette imagination que nous en avons. Plus tard, en effet, tout en sachant que le soleil est distant de plus de six cents fois le diamètre terrestre, nous ne laisserons pas néanmoins d’imaginer qu’il est près de nous [...].
Spinoza, Ethique, II, Scolie de la proposition XLIII

Puisque nous occupons un point de vue et un seul, il n’est pas étonnant que les apparences continuent de nous paraître
« vraies » alors même que nous les savons inexactes et fausses, explique Spinoza puisque cette déformation du réel est inhérente non seulement à nos organes sensoriels mais même à notre existence en tant qu’individus : du fait même que nous ne sommes pas Dieu, nous sommes subjectifs. La réalité se dissimule, pour nous, derrière les apparences, non seulement parce que nos perceptions s'avèrent imprécises, mais surtout en raison de notre condition humaine même. Désormais nous ne pouvons plus nous satisfaire des apparences parce que nous savons qu’elles sont toujours infidèles pour nous. Précisons : pour nous, êtres humains, contrairement aux huîtres par exemple. Un mollusque agit de manière réflexe, comme si ses perceptions reflétaient parfaitement le monde. Comment y parvient-il ? Tout simplement parce que ses facultés nerveuses et cérébrales ne lui permettent pas de distinguer entre ses sensations et l'assentiment qu'elle accorde à ces sensations. Faute d'intelligence, faute de recul critique, l'huître n'a aucun moyen de remarquer le caractère faussé et limité de ses perceptions.

L'huître vit donc complètement en phase avec l'univers, faute d'une conscience qui lui permettrait de distinguer entre sensation et assentiment ; aussi la conscience porte-t-elle pour nous un drame cosmique : elle déchire le monde en nous séparant de lui, définitivement. Nous ne serons plus jamais en phase avec l’univers parce que nous savons que les apparences nous bernent, et en même temps, nous savons que nous n'aurons aucun moyen de cesser de nous y laisser prendre, parce que nous ne sommes pas Dieu. Dès lors, l'univers nous apparaît comme un lieu trompeur, hostile, inhospitalier. Nous ne sommes même plus tout à fait sûrs que l’univers existe bel et bien, ou s'il ne s'agit pas plutôt d'une vaste hallucination. Puisque nous ne pouvons pas nous fier à nos sensations, nous ne pouvons même pas être sûrs que des choses extérieures existent indépendamment de nous. Le monde n'est peut-être qu'un rêve. Notre rêve privé, personnel, bien à nous. Peut-être notre conscience est-elle la seule chose qui existe vraiment. Hypothèse aussi vertigineuse que désagréable, parce qu'elle fait résonner dans notre âme la peur archaïque de la solitude. Pour y remédier, pour « communier » encore une fois avec l'univers, chercherons-nous à tuer notre conscience et à nous ravaler au rang des animaux, dans la transe bestiale ? Ou préférerons-nous l’attitude sceptique, l’épochê radicale renonçant à juger quoi que ce soit ?


Suite du cours : la singularité des points de vue ruine-t-elle l'espoir d'une vérité objective ?

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B
<br /> La question n'est pas l'imprécision de nos sens ni la subjectivité sdes points de vue.<br /> La question fondamentale est que représenter c'est donner sens. La couleur de la table ou de la rose n'existe pas en tant que couleur. Sans l'homme pour les interpréter comme telles les couleurs<br /> n'existent pas (cf Protagoras et platon dans le Théétète). La représentation n'est pas la réalité parceque la réalité n'a pas de sens et c'est la représentation qui le crée.<br /> Quant à la vérité elle n'a d'autre réalité que son efficacité. La vérité c'est une représentation qui marche tout le temps<br /> bien à vous<br /> JL Boucon<br />
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C
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> L'esprit a sans doute une histoire, mais il n'y a pas d'histoire de l'esprit.<br /> Vous êtes invité à visiter mon blog (fermaton.over-blog.com), le code d'Einstein. C'est une théorie mathématique de la conscience humaine.<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> Clovis Simard<br /> <br /> <br /> <br />
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