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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La vérité - 3


 2) Le scepticisme empirique

La théorie platonicienne semble appeler une critique formulable en termes simples : "à quoi peut bien rimer tout ce fatras mystico-métaphysique ?"

Deux points faibles, en particulier, paraissent très gênants. Primo, on n'a pas l'ombre d'un embryon de commencement de preuve quant à l'existence des "Idées" ou, encore moins, du "monde des Idées", que personne n'a jamais vu (et pour cause). A vrai dire, on n'a de prime abord aucune raison sérieuse d'accréditer ce dédoublement de l'univers : une telle hypothèse paraît très lourde et, comme nous l'enseigne Guillaume d'Ockham, "Il ne faut pas multiplier les étants sans nécessité" : si une hypothèse n'est pas absolument indispensable, on doit la supprimer. Ajoutons dans la foulée que, sitôt prise au sérieux, cette cosmologie "d'Idées" pose toute de suite des problèmes insurmontables. Par exemple, si le chêne et le sapin sont tous deux des "arbres" (ci-contre, photographie (c) Demeures de France), c'est, à en croire Platon, qu'ils participent tous deux à l'Idée de l'arbre ; mais alors, cette Idée d'arbre dit-elle quelque chose à propos des feuilles ? Sinon, est-elle "complète" et "vraie" ? Si oui, qu'en dit-elle ? Que l'arbre a des feuilles caduques ou des épines persistantes ? Qu'il peut avoir les deux ? Faut-il croire qu'il existe une seule Idée de l'arbre ou au contraire plusieurs Idées, l'une de l'arbre à feuilles caduques, l'autre du résineux à épines persistantes ? Dans ce dernier cas, à quoi peut bien correspondre "l'Idée d'arbre" ? (Aristote, pourtant ami de Platon, s'amuse à poser ces questions au début de la Métaphysique, et finit par écrire : "Nous devons aimer la vérité plus que nos amis".)

Secundo, comme le remarque malicieusement Aristote dans la Métaphysique, "il serait étonnant qu'à notre insu nous possédions la plus haute des sciences" (993 a 1). La conception platonicienne estime que nous possédons la vérité "malgré nous", que nous en sommes porteurs et qu'il convient seulement de nous en faire "accoucher" ; mais ce n'est pas ce qu'on observe, semble-t-il, avec les enfants et les bébés. S'ils possèdent les notions de "logarithme", de "zeugma" ou de "sublimation", par exemple, ils le cachent vraiment bien ! N'est-il pas beaucoup plus raisonnable de penser que l'esprit d'un bébé à la naissance est à peu près vierge de toute influence ? Ne paraît-il pas beaucoup plus vraisemblable de comparer sa pensée à des "tablettes vides", selon l'expression d'Aristote (reprise par Locke) ? Condillac montrera qu'on peut parvenir à des notions complexes à partir de quelques idées simples, notamment par rapprochement ou par combinaison (ainsi l'idée de licorne compose-t-elle une image du cheval avec l'image d'une corne unique semblable à celle du narval).

Ces critiques de principe soulignent les difficultés théoriques de la pensée platonicienne ; pourtant, on pourrait dire que, si invraisemblable qu'elle nous paraisse, la pensée de Platon pourrait tout de même être vraie. Il revient alors à Hume d'opposer à Platon un obstacle redhibitoire.

Je hasarderai ici une proposition que je crois générale et sans exception ; c’est qu’il n’y a pas un seul cas assignable, où la connaissance du rapport qui est entre la cause et l’effet puisse être obtenu a priori ; mais qu’au contraire cette connaissance est uniquement due à l’expérience, qui nous montre certains objets dans une conjonction constante.
Présentez au plus fort raisonneur qui soit jamais sorti des mains de la nature, à l’homme qu’elle a doué de la plus haute capacité, un objet qui lui soit entièrement nouveau ; laissez-lui examiner scrupuleusement ses qualités sensibles ; je le défie, après cet examen, de pouvoir indiquer une seule de ses causes, ou un seul de ses effets. Les facultés rationnelles d’Adam nouvellement créé, en les supposant d’une entière perfection dès le premier commencement des choses, ne le mettaient pas en état de conclure de la fluidité et de la transparence de l’eau que cet élément pourrait le suffoquer, ni de la lumière et de la chaleur du feu, qu’il serait capable de le réduire en cendres.
Il n’y a point d’objet qui manifeste par ses qualités sensibles les causes qui l’ont produit, ni les effets qu’il produira à son tour : et notre raison, dénuée du secours de l’expérience, ne tirera jamais la moindre induction qui concerne les faits et les réalités.
Cette proposition : Que ce n’est pas la raison, mais l’expérience qui nous instruit des causes et des effets, est admise sans difficulté, toutes les fois que nous nous souvenons du temps où les objets dont il s’agit nous étaient entièrement inconnus, puisqu’alors nous nous rappelons nécessairement l’incapacité totale où nous étions de prédire, à leur première vue, les effets qui en devaient résulter.
Hume, Enquête sur l’entendement humain

Pour Platon, l'Idée de l'arbre englobe toute la vérité à propos de l'arbre. Celui, donc, qui contemple l'Idée de l'arbre sait, du même coup, tout ce qu'il y a à en connaître.

Ineptie totale ! répond Hume. Nous n'avons de connaissance (c'est-à-dire d'idée vraie) que concernant les rapports des choses entre elles. Si nous disons d'un champignon qu'il est "vénéneux", par exemple, c'est évidemment par rapport à nous qui risquons, si nous le mangeons, d'en mourir ; or ces rapports d'interaction (de causalité) entre telle chose et toutes les autres choses de l'univers ne peuvent évidemment pas être englobés dans l'Idée de la chose - parce qu'à ce compte-là, cette Idée englobe aussi toutes les autres choses de l'univers, et on ne voit plus très bien pourquoi on l'appellerait l'Idée de "la" chose.

Dès lors, il faut croire que certaines vérités à propos de la chose (notamment les vérités concernant ses causes et ses effets) ne sont pas contenues "dans" l'Idée de la chose, ou dans la liste de ses propriétés. Autrement dit, que l'Idée de la chose est forcément incomplète. L'ennui tient à cela que, d'une part, ce sont justement ces connaissances relationnelles qui sont importantes ; et d'autre part, que ces connaissances relationnelles ne peuvent être connues qu'après une expérience - puisque la seule observation des propriétés de la chose ne nous renseigne pas du tout sur ses effets.

Conclusion : même si nous pouvons savoir quelque chose d'un objet en contemplant son Idée, cela ne nous suffit pas à rassembler sur lui des connaissances, lesquelles exigent une "mise à l'épreuve" de l'objet. La voie royale pour connaître la vérité consiste donc non pas à s'introspecter opiniâtrement, mais bien, tout au contraire, à courir le monde pour maximiser sa propre expérience. Ce projet s'appelle "empirisme". Le philosophe qui y souscrit n'est plus du tout, alors, le sage qui s'isole dans son cabinet de travail pour y échafauder des théories audacieuses, mais bien au contraire le voyageur infatigable et l'explorateur hardi, toujours curieux d'horizons nouveaux (ci-contre, estampe de Kano Eitoku, XVIè siècle).

Malheureusement, dans la mesure où ces expériences dépendent de notre vécu personnel, il s'ensuit que les connaissances vraies que nous aurons accumulées dépendent de... notre point de vue subjectif ! Dès lors, la notion même de vérité semble se déliter, puisque tout le monde ne tombera pas d'accord sur les mêmes "vérités". La possibilité même d'atteindre une vérité reste douteuse : un tel doute s'appelle "scepticisme" (nous avons déjà rencontré ce courant philosophique, dans ce cours).


Suite du cours : l'affrontement entre dogmatisme et scepticisme.
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