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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La vérité - 6


2) Une nouvelle conception de la connaissance

Prenons un instant au sérieux l'idée de propositions synthétiques a priori. Du fait même qu'elles sont a priori, elles nous sont accessibles indépendamment de toute expérience. Dès lors, il doit exister dans l'esprit humain des concepts ne provenant pas de l'expérience. Autrement dit : la formule aristotélicienne selon laquelle "rien n'est dans l'intellect qui n'ait d'abord été dans la sensation" doit être fausse, au moins pour certains concepts.

Lesquels ? Evidemment pas les concepts référant aux objets du monde : ceux-ci, en effet, proviennent forcément de l'expérience. Si, par exemple, nous n'avions jamais vu de vache, nous n'aurions pas le concept de "vache" ; mais justement, comment construisons-nous un concept comme "vache" ? En observant une première vache, puis une seconde, puis en les comparant, et en jugeant que leurs différences nous paraissent négligeables par rapport à leurs ressemblances. Toute cette opération mentale constitue à proprement parler ce que les sceptiques empiristes appellent une "expérience" ; or, cette série d'opérations ne peut évidemment pas nous être enseignée par l'expérience, puisque, pour faire une expérience, il faut en disposer ! Nous devons donc croire que "nous savons", de manière innée, réaliser ces opérations : notre raison sait spontanément comparer ; et même, elle compare spontanément (à gauche : La mort de Marat par David ; à droite : La véritable histoire de Charlotte, hommage à David (c) par Marc Vérat).

Ceci posé, il est évident que des concepts correspondent à chacune de ces opérations (le concept de rapprochement, de différence, de ressemblance, etc.) ; et puisque ces opérations sont pour nous innées, il faut bien que leurs concepts soient pour nous a priori. Aucune expérience ne peut nous enseigner ce qu'est une "différence" ou une "ressemblance". En même temps, ces concepts ne sont pas vides : ils nous enseignent "vraiment" quelque chose ; ils sont donc synthétiques.

Autrement dit : toutes nos connaissances dérivent de l'expérience (et sur ce point, les sceptiques empiristes ont raison contre les dogmatiques idéalistes) ; mais les conditions mentales de toute expérience, elles, sont innées (et sur ce point, les sceptiques empiristes ont tort, puisqu'ils estiment que tous nos concepts s'élaborent à partir du vécu). La démarche kantienne commence ainsi à esquisser une authentique synthèse entre deux conceptions à première vue inconciliables... mais il n'y parvient qu'au prix d'une redéfinition complète de la "connaissance".

En effet, lors d'une "expérience", que se passe-t-il ? L'individu se trouve confronté (par ses perceptions) à un objet inédit ; et ces perceptions sont traitées par son esprit en fonction de concepts de ressemblance, de différence etc. - c'est-à-dire par les synthétiques a priori. En somme : une "expérience" se présente comme l'application de structures mentales humaines (les synthétiques a priori) "sur" des perceptions brutes ; or, explique Kant, sans ces structures mentales, nos perceptions nous seraient totalement inintelligibles. Nous verrions des taches de couleurs différentes, par exemple (ci-contre, Motif hindou par Frantisek Kupka), mais nous serions tout à fait incapables de traiter ces informations pour distinguer, par exemple, "cette fourmi" de "la feuille" qu'elle arpente. Nos structures mentales donnent une forme intelligible à des informations "de fond" qui n'ont, par elles-mêmes, aucun sens.

Une "connaissance", alors, se définit exactement comme un composé : un mélange de données perceptives (la "matière" de la connaissance) et de structures mentales humaines (la "forme" de la connaissance). L'entendement humain se présente ainsi comme "préprogrammé", prévu pour certaines tâches spécifiques - un peu à la manière dont un ordinateur neuf est, dans un sens, vide (il appartient à l'utilisateur de le remplir avec ses fichiers), mais il n'est pas pour autant comme des "tablettes vides" puisque sa mémoire inclut déjà des programmes permettant, précisément, à l'utilisateur de "remplir" la mémoire avec ses fichiers personnels. Il n'est donc pas complètement faux de dire, avec les dogmatiques idéalistes, que l'individu possède dès la naissance "toute" la vérité ; encore faut-il préciser qu'il ne la possède qu'en germe - pour être tout à fait précis, il possède les conditions de formulation de toute la vérité. D'un autre côté, il n'est pas non plus complètement faux de dire, avec les sceptiques empiristes, que l'esprit humain à la naissance est "vide" d'informations, si cependant on précise qu'il est déjà "organisé" d'une certaine manière, laquelle rendra justement possible la prise en compte d'informations variées. Pour finir : il n'est pas faux de dire, avec les empiristes, que notre "point de contact" avec le réel n'est autre que la perception ; mais il faut aussi reconnaître, avec les dogmatiques, que sans nos structures mentales (de type logos), ce point de contact n'aurait aucun sens pour nous - et qu'en conséquence, elles sont au moins aussi importantes que le point de contact lui-même.

Les structures mentales a priori possèdent donc un statut ambigu. D'une part, elles paraissent très positives puisqu'elles rendent intelligibles (pour nous) un univers qui, autrement, n'aurait (toujours pour nous) aucun sens ; mais d'autre part, elles impliquent que notre pensée est structurée d'une certaine manière, et que nous ne pourrons pas penser "tout et n'importe quoi". En particulier, nous ne pourrons pas penser quelque chose qui contreviendrait totalement à nos structures mentales synthétiques a priori. Pire : du fait même que notre pensée met en forme toutes nos perceptions, il s'ensuit qu'elle les perturbe et les déforme (ci-contre, image (c) Merveilles du Maroc). Aussi ce qui parvient à notre pensée lorsque nous observons, par exemple, cette fourmi, n'est pas "la fourmi" elle-même, mais une image de la fourmi compatible avec notre pensée humaine. Nous n'avons pas accès au "noumène", mais seulement au "phénomène" (voir aussi ce cours). Cette même raison qui nous rend le réel compréhensible et sensé nous en sépare du même coup radicalement.

Dans une telle perspective, la définition canonique de la vérité comme adequatio rei et intellectus ne tient plus du tout : car si nous avons bel et bien un "point d'ancrage" dans le réel, ce point n'est jamais "pur" de toute influence de notre part ; et c'est heureux car dans le cas contraire, ce "réel" nouménal nous resterait totalement incompréhensible et insensé. Dès lors, dans le recherche de la vérité, avant d'examiner les objets, il serait peut-être préférable d'inspecter les propriétés de la pensée humaine, qu'on peut à juste titre qualifier "d'intuitions".

En voyant comment les mathématiques et la physique sont devenues, par l'effet d'une révolution subite [Kant évoque ici Copernic et Descartes], ce qu'elles sont aujourd'hui, je devais juger l'exemple assez remarquable pour [être amené] à réfléchir au caractère essentiel d'un changement de méthode qui a été si avantageux à ces sciences [...]. On a admis jusqu'ici que toutes nos connaissances devaient se régler sur les objets ; mais, dans cette hypothèse, tous nos efforts pour établir à l'égard de ces objets quelque jugement a priori et par concept qui étendît notre connaissance n'ont abouti à rien. Que l'on cherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance, ce qui s'accorde déjà mieux à ce que nous désirons, à savoir la possibilité d'une connaissance a priori de ces objets qui établisse quelque chose à leur égard, avant même qu'ils nous soient donnés. Il en est ici comme de la première idée de Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des étoiles tournait autour du spectateur, il chercha s'il n'y réussirait pas mieux en supposant que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles. [...] Si l'intuition se réglait nécessairement sur la nature des objets, je ne vois pas comment on en pourrait savoir quelque chose a priori ; alors que si l'objet, au contraire (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre faculté intuitive, je puis très bien alors m'expliquer cette possibilité. [...] En effet, l'expérience elle-même est un mode de connaissance qui exige le concours de l'entendement, dont je dois présupposer la règle [c'est-à-dire le fonctionnement] en moi-même, avant que des objets me soient donnés, par conséquent a priori, et cette règle s'exprime en des concepts a priori, sur lesquels tous les objets de l'expérience doivent nécessairement se régler, et avec lesquels ils doivent s'accorder.
Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, préface de la 2nde édition


Si, donc, on étudie méthodiquement et exhaustivement toutes ces propositions synthétiques a priori, toutes ces intuitions pures de l'entendement humain, on parviendra à tracer un panorama de tout ce qu'il est humainement possible de penser. Telle est exactement la signification du titre de l'ouvrage : Critique (c'est-à-dire limite) de la raison pure (c'est-à-dire de ce que peut faire la pensée humaine par elle-même, avant de se mêler avec de l'expérience).


En sept cents pages, Kant remplit ce programme vertigineux : il achève le tour d'horizon des possibilités de la pensée. Sans exagération, on peut qualifier le volume de "cathédrale philosophique", selon la belle expression d'Alain Renaut.

Suite du cours : difficultés de la pensée kantienne.
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