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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La Raison et le Réel - 3


II. Les quatre promesses de la raison


La promesse que nous fait la raison d'atteindre un jour une connaissance adéquate du monde se décline dans quatre directions.

Primo, les rêveries doucereuses de l'art, du désir, de la poésie, ont ceci de commun qu'elles s'écartent du réel ; parfois, de manière délibérée (voir le texte en tête de ce cours, par exemple, où Nietzsche rappelle que l'art a d'abord une fonction de dissiumlation). Dès lors, faute d'une connaissance adéquate du réel, ces rêveries s'avèrent très souvent d'une totale inefficacité. Au contraire, le recours à l'examen minutieux de nos propres projets nous permet de déterminer, de manière lucide, les moyens dont nous disposons et, par voie de conséquence, quelles fins nous pouvons poursuivre. De la sorte, la pensée raisonnée, réfléchie, nous permet de savoir d'avance si telle machine que nous rêvons pourra ou non être construite. L'imagination perd, chez l'ingénieur, la moitié de son empire, au profit de la raison. Par son efficacité, qui constitue sa caractéristique première, la raison nous confère en effet une maîtrise du monde. Descartes assigne ce programme à la raison :

[...] Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles [la métaphysique], on en peut trouver une pratique [l'ingénierie], par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher.
Descartes, Discours de la Méthode, VI (texte intégral disponible ici).

Ce n'est pas que la raison nous donne plus de puissance, comme le ferait la potion magique de Panoramix : mais par les connaissances vraies qu'elle nous permet de découvrir au milieu des opinions inexactes, la raison nous aide à comprendre l'action des forces naturelles, que nous pouvons alors employer, détourner, dérouter, contre d'autres forces naturelles, à notre profit. La vaccination consiste par exemple à introduire délibérément dans un organisme sain des agents pathogènes identifiés, en quantité réduite, afin de stimuler les défenses immunitaires de cet organisme. Le vaccin n'éradique pas la maladie mais il permet de la retourner en partie contre elle-même (ci-contre, une porte inca dont la forme trapézoidale possède des propriétés antisismiques, photo (c) on change de bocal). A terme, la raison pourra  "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature." Pour dire les choses clairement : la raison, c’est le pouvoir.


Secundo, parce que la réflexion implique un temps de recul, elle nous permet de dépasser les apparences trompeuses de l’appât ou de l’appeau. A la différence de l’animal, l’humain s’élève hors du réflexe déterministe et peut maîtriser ses réflexes, ses impulsions, ses émotions, ses sentiments ; il se découvre la possibilité de choisir, alors que l'animal se trouve entièrement conditionné par son instinct. Ajoutons à cela le surcroît de pouvoir obtenu par les moyens techniques tirés de l’ingénierie, et concluons : la raison, c’est la liberté.

Tertio, parce qu’elle tempère nos émotions, la raison nous débarrasse des craintes infondées (celle du feu, par exemple, mais aussi celle de la mort, cf. Epicure et ce cours), et de nos superstitions obscures. Evidemment, sa puissance reste limitée : malgré les mises en garde de la raison, nous pouvons encore désirer l'impossible ; mais au moins, quand nous aurons échoué, la raison nous permettra-t-elle d'accepter nos frustrations en nous montrant pourquoi c'était impossible, et pourquoi l'échec était, en somme, inévitable : premier pas pour surmonter nos rancoeurs et nos chagrins.

A cette faculté consolatrice, la raison nous permet en outre, face au choix, d’évaluer la meilleure solution en termes de plaisir et de douleur, de gains et de coûts. A la suite d'Epicure, qui prône déjà une morale de ce type dans la Lettre à Ménécée, un courant philosophique dit "utilitariste", proche des thèses économiques libérales d'Adam Smith, essaime victorieusement d'Ecosse en Angleterre. Parmi ses principaux auteurs, John Stuart Mill écrit par exemple :

La doctrine qui donne comme fondement à la morale l'utilité ou le principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes ou sont mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur ou à produire le contraire du bonheur. Par "bonheur", on entend le plaisir et l'absence de douleur ; par "malheur", la douleur et la privation de plaisir. [...] Or, une semblable conception de la vie provoque chez beaucoup de gens [...] une profonde répugnance. Admettre que la vie - pour employer leurs expression - n'a pas de fin plus haute que le plaisir, qu'on ne peut désirer et poursuivre d'objet meilleur et plus noble, c'est, à les en croire, chose absolument basse et vile ; c'est une doctrine qui ne convient qu'à un porc, auquel, à une époque très reculée, on assimilait avec mépris les disciples d'Epicure [...]. Ainsi attaqués, les épicuriens ont toujours répliqué que ce n'est pas eux, mais leurs accusateurs, qui représentent la nature humaine sous un jour dégradant ; l'accusation suppose en effet que les êtres humains ne sont pas capables d'éprouver d'autres plaisirs que ceux que peut éprouver le porc. Si cette supposition était fondée, l'imputation mise à leur charge ne pourrait être écartée, mais elle cesserait immédiatement d'impliquer un blâme ; car si les sources de plaisir étaient exactement les mêmes pour les êtres humains et pour le porc, la règle de vie qui est assez bonne pour l'un serait assez bonne pour les autres. Si le rapprochement que l'on fait entre la vie épicurienne et celle des bêtes donne le sentiment d'une dégradation, c'est précisément parce que les plaisirs d'une bête ne répondent pas aux conceptions qu'un être humain se fait du bonheur. Les êtres humains ont des facultés plus élevées que les appétits animaux et, lorsqu'ils ont pris conscience de ces facultés, ils n'envisagent plus comme étant le bonheur un état où elles ne trouveraient pas satisfaction. [...] ON peut, sans s'écarter le moins du monde du principe de l'utilité, reconnaître le fait que certaines espèces de plaisirs sont plus désirables et plus précieuses que d'autres. Alors que, dans l'estimation de toutes les autres choses, on tient compte de la qualité aussi bien que de la quantité, il serait absurde d'admettre que dans l'estimation des plaisirs, on ne doive tenir compte que de la quantité.
John Stuart Mill, L'Utilitarisme, II (disponible ici en VO et en texte intégral)

Préférer le plaisir à la douleur amène, face à chaque choix, à opérer un "calcul d'utilité" : l'individu compare les différentes branches de son choix en fonction du plaisir qu'elles lui procureront (escompte-t-il) et en fonction des douleurs qu'elles lui coûteront. C'est ainsi que, dans leur majorité, les élèves de lycée préfèrent réviser leurs cours pour le baccalauréat plutôt que de faire des cocottes en papier : cette activité leur cause peut-être plus de soucis pour le moment, mais ils espèrent atteindre plus tard, leur baccalauréat en poche, des fonctions, un statut et des rémunérations qui leur seraient à jamais fermées sans le baccalauréat. Ils acceptent temporairement un effort désagréable afin de se procurer par la suite un bonheur plus sûr, plutôt que de poursuivre des plaisirs faciles, mais éphémères, au prix d'une vie plus difficile par la suite. Ce "calcul" d'utilité constitue au sens propre un "raisonnement" ("raison" vient du latin ratio, calcul). C'est grâce à ce calcul que l'individu peut minimiser ses peines et maximiser son plaisir. La raison, c'est donc le bonheur.

Enfin, et surtout :
tant qu'on possède plusieurs explications pour un même phénomène, c’est la preuve que ces explications ne sont que de simples doxa. Il est possible que, dans le lot, l’une soit "la bonne" ; mais il est possible aussi que toutes soient fausses et que l’épistémé reste à découvrir ou à inventer. Descartes énonce ainsi vigoureusement, dans le Discours de la méthode (I) : "[la philosophie] a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et [...] néanmoins il ne s'y trouve encore aucune chose dont on ne dispute et par conséquence qui ne soit douteuse". Du fait même que les experts querellent, on déduit qu'on ne possède pas encore la vérité ; or, la raison parviendra à défricher ce fouillis d'opinions contradictoires, parce qu’il s’agit de sa fonction première. On peut la définir en effet avec Descartes comme "la faculté de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux" (Discours de la méthode, I).

Si nous parvenons à atteindre une vérité, alors non seulement nous pourrons expliquer pourquoi cette opinion particulière est vraie, mais aussi pourquoi toutes les autres sont fausses :
ce discours par lequel l'on exprime les raisons que nous avons de penser qu'une opinion est vraie pendant que les autres sont fausses, constitue à proprement parler une connaissance - aussi la connaissance authentique se présente-t-elle toujours comme discursive (le logos grec désigne aussi bien le discours que la raison), même si l'intuition peut parfois tomber juste. Ainsi dénoncées, les opinions autres que la vérité cessent d'être de simples doxa et elles dégénèrent en erreurs. "Les voies de l'erreur sont multiples", remarque Aristote, alors que la vérité est une. Lorsque la dernière expédition de Magellan (ci-contre) rentre à Séville à l'issue du premier tour du monde (en 1522), plus personne sinon les fous, les ignorants et les hurluberlus ne peut soutenir que la Terre est plate. De même pour le modèle atomique de Rutherford, selon lequel les électrons tournent en orbite autour d'un noyau, comme les planètes autour d'une étoile : un calcul simple (avec les lois de Newton) montre que si ce modèle était juste, les électrons s'effondreraient sur le noyau et les atomes ne pourraient pas exister plus d'une fraction de seconde.

Lorsque la vérité apparaît, c'en est fait de toutes les autres opinions, qui perdent tout crédit et deviennent définitivement fausses, c’est-à-dire que dans le monde des opinions, elles sont mortes. La raison conduit ainsi un mouvement : elle part de la multiplicité contradictoire des opinions spontanées vers l'unité vraie des connaissances réfléchies.

Nous avons déjà remarqué une telle opposition, entre la multiplicité des apparences changeantes, et l'unité de la chose "derrière" ces apparences (voir ce cours) ; or cette chose "derrière" les apparences, c'est ce que nous appelons communément le réel : la table, pour nous, n'est pas cette confirguration particulière de couleurs qui nous frappent dans un certain ordre - et qui changera avec l'heure du jour - mais bien ce qui demeure le même malgré ces variations lumineuses. En fait, l'étymologie du mot "réel" confirme exactement cette identification à la chose (res, en latin, désigne la chose). Comment ne pas soupçonner, avec Leibniz, que la diversité des opinions reflète exactement la diversité des points de vue - c'est-à-dire la diversité des apparences - alors que la vérité atteinte par la raison, elle, coïncide exactement avec la réalité ? Hegel énonce ainsi dans la préface des Principes de la philosophie du droit, cette phrase en forme de maxime : "ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel".

Si la raison peut clore les débats, c'est parce qu'elle atteint la réalité la plus authentique et la plus profonde, ne laissant plus rien à désirer. Devant la vérité, même la plus bizarre, tout le monde tombe d’accord parce que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" (Descartes, Discours de la méthode, I). Parce qu'elle interrompt les fâcheries stériles et qu'elle éteint les querelles d'écoles, la raison, c’est la paix.

Le pouvoir, la liberté, le bonheur, et la paix. Programme alléchant, non ?

Suite du cours : Une méthode pour la raison : le rationalisme moderne.
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