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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La démonstration et la logique - 4


III. L’indémontrable


Malgré son génie, Spinoza part tout de même d'axiomes et de définitions, qu'il ne cherche pas à démontrer. Il nous demande de les admettre. Peut-on, alors vraiment tout démontrer ou bien certaines propositions restent-elles en-dehors du champ de la démonstration ?

Reprenons ce que nous disions en commençant : les prémisses "reconnues ou admises comme vraies" apparaîssent comme le tendon d'Achille de la logique, le risque de se trouver piégé dans une régression à l'infini (un peu de la même manière qu'un enfant s'obstine à demander "pourquoi ?" à chaque réponse qu'on lui fait, chaque démonstration requiert des prémisses qui réclament à leur tour démonstration).

Pire : dans le syllogisme, d'où tenons-nous la majeure ? Lorsque nous écrivons "tous les félins sont des mammifères", nous affirmons cela à partir d'un nombre restreint d'expériences et d'observations. Pour écrire "Tous les félins...", nous procédons donc, forcément, à une induction ; opération que la logique prohibe au motif de son incertitude (voir ce cours) ! La théorie du syllogisme scie la branche sur laquelle elle est assise : d'un côté elle nous interdit la généralisation abusive, et de l'autre elle nous prescrit de recourir à des classes nettement délimitées, dites "universelles". (Ci-contre, gravure de Mauritz Cornelius Escher.)

Faut-il la croire, alors, vouée à l'échec ?

Pas tout à fait. Reprenons le syllogisme initial et effectuons un petit exercice d'abstraction. Le raisonnement reste valide si l’on change l'espèce dont il est question (léopards, lynx, lions, jaguars, pumas, etc.). On peut alors remplacer "panthère" par une variable.

Tout félin est mammifère
Et tout x est félin
Donc tout x est mammifère.

Généralisons avec les autres termes :

Tout y est z
Et tout x est y
Donc tout x est z.

Que reste-t-il ? La structure du syllogisme. On a ici un "moule à raisonnement", une forme dans laquelle on peut, théoriquement, couler n'importe quelle matière.

Au premier abord, le bon sens renâcle. Si l'on peut effectivement prendre n’importe quoi pour remplir, on risque d'aboutir à des raisonnements idiots. Par exemple :

Toute planète est cubique
Et tout triangle est une planète
Donc tout triangle est cubique.

Voici un raisonnement dont toutes les propositions sont fausses ; pourtant, il répond entièrement aux exigences du syllogisme. Maintenant examinons cet autre raisonnement :

Tout triangle est un polygone
Et toute planète est ronde
Donc les philosophes sont mortels.

Ce raisonnement présente le défaut inverse : il ne répond absolument pas aux conditions du syllogisme (aucun terme répété) ; et pourtant il est composé de trois propositions vraies.

A l'issue de cette comparaison, nous voilà amenés à conclure : un raisonnement peut être valide indépendamment de la vérité des propositions qui le composent. La validité du raisonnement se distingue de la vérité de la conclusion. On peut raisonner juste avec des propositions fausses, et on peut déraisonner avec des propositions vraies.

La logique, lorsqu'elle examine la théorie du syllogisme ou les enchaînements des propositions, ne s'intéresse qu'à la validité des raisonnements, à la forme qu'ils prennent, et non à la matière (au "fond") sur lequel ils raisonnent. Aussi la logique appartient-elle au groupe des sciences formelles. Dans un sens, la logique réduit ses prétentions et se contente de dénoncer les raisonnements fallacieux ; et ce n'est déjà pas mal : il suffit d'écouter un journal télévisé en scrutant les discours selon les règles de la logique, pour s'effarer : ils sont truffés de raccourcis, d'inférences douteuses, de conclusions tirées à l'emporte-pièce, d'induction et d'analogies contestables.

Pourtant, pouvons-nous accepter cette tardive modestie de la logique ? Nous espérions, avec Descartes, qu'elle nous fournirait des "certitudes fermes et assurées", "utiles à la conduite de la vie", et voilà qu'elle se contente de dénoncer les sophismes. Quelle déception ! Comment surmonter ce problème ?  (Ci-contre, image (c) Provokat inc.) Deux solutions se présentent.

La première consiste, pour la logique, à reconnaître son impuissance à établir des prémisses assez sûres pour être admises comme vraies ; dans un sens, la logique peut vraiment se le permettre. Pusqu'elle n'est pas sûre des prémisses qu'elle emploie, elle va tout simplement... faire comme si. Elle n'est pas certaine que tous les félins soient des mammifères, ou que toutes les panthères soient des félins ? Peu importe :

SI tous les félins sont des mammifères,
ET SI toutes les panthères sont des félins,
ALORS toutes les panthères sont des mammifères.

Et voilà le travail ! Reformulé de la sorte, le syllogisme donne une conclusion absolument certaine, puisqu'elle dépend de la vérité des prémisses dont le syllogisme lui-même signale le caractère hypothétique. Raison pour laquelle, à l'époque moderne, on préfère cette formulation dite "hypothético-déductive" ; mais si la logique est effectivement un système hypothético-déductif, elle n'est pas certaine ! Décidément, devons-nous nous résigner à la déception ?

Il existe encore un dernier recours. Pour que la logique retrouve pleinement sa puissance, il suffit de trouver au moins un axiome évident pour tout le monde, d'une évidence aveuglante si possible, parfaitement conforme au sens commun - autrement dit, un axiome indubitable, qui s'impose à tous comme une vérité ; et à partir de là, à partir de ce point d'origine irréprochable, la logique pourra dérouler sa "longue chaîne de raisonnements" en toute quiétude.

Peut-on trouver de tels axiomes ? A plusieurs reprises, on l'a cru. Par exemple, en philosophie, Descartes a vraiment cru, avec le cogito, atteindre une première vérité, à ce moment étrange du doute hyperbolique et de solitude intégrale où certitude subjective et vérité objective ne se disjoignent pas encore. Pour la critique du cogito comme certitude immédiate, voir le texte de Nietzsche dans ce cours.

En géométrie, au début du XIXè siècle, deux géomètres, Riemann et Lobatchevski, tentent de démontrer par l'absurde le cinquième axiome d’Euclide, lequel énonce que si, dans un plan, une droite D et un point p n'appartenant pas à D sont donnés, alors il existe une et une seule droite passant par p et parallèle à D. Quoi de plus lumineux ? Quoi de plus évident ? Riemann et
Lobatchevski, pour leur démonstration, postulent au contraire (et respectivement) que, par p, il passe une infinité de parallèles à D, ou aucune. Postulats en apparence aberrants : les deux chercheurs ne doutent pas d'en arriver bientôt à des contradictions si flagrantes qu'elles donneront raison à Euclide. On imagine leur stupéfaction lorsqu'ils s'aperçurent que ces postulats ne donnaient pas de résultats contradictoires, mais au contraire ouvraient à la pensée un champ de réflexion et de découvertes aussi inattendu que fécond, celui des espaces courbes (dont la géométrie d'Euclide n'est qu'un cas particulier : celui des espaces plans, autrement dit à courbure nulle). Les géométries non-euclidiennes se révélèrent indispensables à la physique contemporaine. Qui aurait cru qu'en marchant contre l'évidence la plus aveuglante, on ferait progresser les mathématiques ? (Ci-contre, visualisation d'espaces de Riemann, de Lobatchevski et d'Euclide. Dans le premier, la somme des angles d'un triangle est supérieur à 180° ; dans le second, inférieur ; cette somme n'est égale à 180° que dans l'espace euclidien à courbure nulle. Image (c) CNRS. Une bonne présentation des géométries non-euclidiennes est disponibles ici).

Après la philosophie et la géométrie, la logique elle-même a un axiome, en apparence évident, à nous proposer. Ce point exige cependant quelques remarques préalables.

Prenons le paralogisme bien connu :

Ce qui est rare est cher
Et un cheval bon marché est rare
Donc un cheval bon marché est cher.

Voilà qui a l'aspect d'un syllogisme, le goût d'un syllogisme, l'ordre sévère du syllogisme, et pourtant la conclusion est manifestement absurde. Où est l'erreur ? D'abord, dans la majeure, de toute évidence fausse. Il existe une foule de phénomènes rarissimes sans valeur marchande, et pour cause ! Une épidémie de peste, une éruption volcanique, un accident nucléaire. La rareté ne fait pas à elle seule le prix ; pour que cette majeure soit vraie, il faut entendre "cher" non pas au sens marchand, mais au sens sentimental. Le caractère exceptionnel d'un objet attire notre attention, provoque en nous une certaine émotion, et nous le "chérissons" ; mais, dans la conclusion, l'ambiguité sur "cher" est levée : par la proximité avec "bon marché", "cher" revêt un sens exclusivement financier.

Autrement dit, si l'on interprète la majeure pour qu'elle ait un sens vrai (ou, en tous cas, acceptable), il s'ensuit que, dans la conclusion, on ne parle plus de la même chose que dans la majeure. Ce dérapage, rendu possible par l'ambiguité du terme "cher", invalide le raisonnement.

Pour l'éviter, une seule solution : exiger, parmi les règles de construction du syllogisme, que chaque terme désigne la même chose tout au long du raisonnement (raison pour laquelle les logiciens ont voulu un langage universel parfaitement exempt d'ambiguités ; voir ce cours). Autrement dit : une chose est ce qu’elle est ; et aucune chose ne peut être autre chose qu’elle-même. Voilà les deux évidences sur lesquelles s'appuie la logique :

- Le principe d’identité : p = p (une chose est ce qu'elle est) ;
- Le principe de non-contradiction : -(p . (–p)) (il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas ce qu'elle est).

Geste cosmique ! Ces deux principes n’ont l’air de rien, et pourtant ! Selon le principe d’identité, toute chose est ce qu’elle est : elle reste identique à elle-même. Même conséquence pour le principe de non-contradiction : nulle chose ne peut être ce qu’elle n'est pas. Jean est en colère, ou il ne l'est pas : aux yeux de la logique, il ne peut pas "se mettre" en colère, ni "apaiser" sa colère. Un enfant, pour la logique, est un enfant : il ne peut pas "devenir grand", pas plus qu'un vieillard ne peut "devenir gâteux". Les principes d’identité et de non-contradiction nient le changement, le devenir, l’évolution. La logique abolit le temps.

Est-ce si grave ? Peut-être pas, en tous cas dans la pensée antique. Au début de ce cours figure une brève présentation des deux mondes platoniciens : le monde sensible (accessible à nos sens, autrement dit le monde des apparences fluctuantes), et le monde des Idées (ou mieux, le monde intelligible, seule réalité). Pour rappel, chez Platon, le monde des Idées est seul réel : le monde sensible n'est qu'une illusion fugace. Au contraire, les Idées existent de toute éternité. Mieux encore : puisqu'elles sont immatérielles, elles ne connaissent ni la génération, ni la déchéance, ni l'altération. Immuables, éternelles, elles ignorent le temps et ne changent jamais. La logique leur est donc parfaitement applicable ; et comme le monde sensible n'est qu'une copie de ce monde idéel, alors la logique doit aussi pouvoir s'y appliquer.

Aristote, lui aussi, divise l'univers en deux mondes distincts, mais selon des modalités très différentes de la cosmologie platonicienne. Pour lui, d'un premier côté, se tourmente le "monde sublunaire", des humains, où l'Histoire règne, avec ses bégaiements, ses hésitations, ses reprises. Monde incertain, approximatif, où la logique ne s'applique pas en toute rigueur (Aristote ne cesse de répéter au lecteur de ses oeuvres morales et politiques qu'on ne peut exiger, dans ces matières, la même exactitude qu'en science). De l'autre côté, en revanche, tournoie pour l'éternité, dans un ballet perpétuellement identique à lui-même, le "monde lunaire", monde des astres, monde de la répétition, où les éclipses peuvent être prédites avec une précision parfaite. Dans ce monde-là, la logique est parfaitement applicable puisque, toujours soumis à cette répétition à l'identique, le temps en quelque sorte n'y passe pas. (Il faut préciser : la différence entre monde lunaire et sublunaire n'est pas strictement une division géographique, ou stratosphérique. Certains phénomènes ici-bas relèvent de la répétition à l'identique, comme les marées, par exemple).

(Ci-contre, une éclipse annullaire de Soleil, photographie (c) Pascal Chassang.)

Pour ces deux auteurs, la logique demeure applicable, au moins pour une partie de l'univers. Face à eux, Nietzsche se dresse :

Origine de la logique. — D’où la logique est-elle née dans la tête des hommes ? Certainement de l’illogisme dont le domaine a dû être immense à l’origine. Mais d’innombrables êtres, qui concluaient autrement que nous ne le faisons maintenant, dépérirent : il se pourrait que ce fût encore plus vrai qu’on ne pense ! Qui, par exemple, ne savait discerner assez souvent l’« identique », quant à la nourriture ou quant aux animaux dangereux pour lui ; qui par conséquent était trop lent à classer, trop circonspect dans le classement, avait moins de chances de survivre que celui qui concluait immédiatement du semblable à l’identique. Mais la tendance prédominante à considérer le semblable comme l’identique — tendance illogique, car il n’y a rien d’identique en soi — cette tendance a créé le fondement même de la logique. Il fallait de même, pour que pût se développer le concept de substance qui est indispensable à la logique — encore que rien de réel ne lui corresponde au sens le plus rigoureux —, que durant fort longtemps la mutabilité des choses restât inaperçue et ne fût pas appréhendée ; les êtres ne voyant pas suffisamment avaient une avance sur ceux qui percevaient toutes choses « dans un flux ». Toute extrême circonspection à conclure, toute tendance sceptique constituent à elles seules un grand danger pour la vie.
Nietzsche, Le Gai Savoir, Livre III, §111

Dans un monde hostile, explique Nietzsche, l'individu a besoin de raisonner fréquemment du comparable à l'identique : il fuit ainsi plus rapidement les animaux dangereux, et trouve plus vite sa nourriture. Dans un sens, pour survivre, nous devions recourir souvent, si ce n'est tout le temps, à des approximations très contestables. D'autres humains existaient peut-être, qui raisonnaient autrement que nous : mais dans la lutte pour la survie, ils ont été vaincus. Seule demeure une humanité en quelque sorte conditionnée à croire aux principes d’identité et de non-contradiction ; or ces deux principes sont fondamentalement antiscientifiques, puisqu'ils méconnaissent la diversité des objets du monde, et la réalité évidente du fait suivant : aucun ours n'est tout à fait identique à un autre ours ; aucune pomme à une autre pomme. La logique tout entière repose sur une simplification abusive systématique.

(Ces quatre images sont (c), dans le sens de la lecture : Amandine Clet, Alice Aubert (et voir aussi ici), National Geographic et ours-en-peluche.net)

La violence du propos fissure toutes les certitudes. Peut-être n'existe-t-il effectivement aucun axiome évident par lui-même à la pensée : pas même le cogito, pas même les axiomes d'Euclide, pas même les principes d'identité et de non-contradiction.

Dans ce cas, la logique doit peut-être abdiquer ses prétentions les plus ambitieuses, et se contenter de se prononcer sur la validité des raisonnements. Pour la vérité des prémisses, elle s'en remettra, en toute honnêteté, aux sciences expérimentales.

Suite du cours : théorie et expérience.
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R
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Dans l'article sur la démonstration et la logique, vous expliquez que deux propositions/faits inverses ou opposés ne peuvent être vrais en même temps. Cependant il existe un contre-exemple à<br /> cette "induction", pour reprendre les termes du cours. En effet, en physique quantique une molécule peut satisfaire à deux états logiques différents et ce en même temps (il s'agit du principe de<br /> superposition quantique. On retrouve ce principe dans la vie de tous les jours lors de la diffraction de rayons lumineux. Par exemple si un rayon est diffracté en deux autres rayons, les<br /> photons sont tous déviés et "empruntent" les deux rayons à la fois (deux endroits différents). Ce que je veux illustrer par là c'est que nos règles de la logique semblent parfois en désaccord<br /> avec le monde réel. <br /> <br /> <br /> Pour en revenir à la superposition d'état quantique, pensez-vous qu'un tel "contre-exemple" puisse invalider la thèse Aristotélicienne selon laquelle si une proposition est vraie son opposée est<br /> fausse ?<br /> <br /> <br /> Merci d'avance.<br />
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D
<br /> <br /> J'adore ce cours. Et les photos sont superbes !<br /> <br /> <br /> <br />
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