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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La diversité des goûts -2


II. Surmonter la relativité des goûts

S'il n'est jamais légitime d'affirmer que « des goûts et des couleurs il ne faut point discuter », alors il faut espérer que ces dicussions sur les goûts ne sont pas entièrement stériles ; il faut espérer que, dans ces discussions, nous puissions nous entendre, nuancer nos opinions et le cas échéant tomber d'accord, alors même que nous nous querellions au départ ; mais « tomber d'accord » implique que nos goûts ne sont pas exclusivement subjectifs. Il est donc « naturel » pour nous de chercher une « norme » du goût. Ce projet prend corps chez David Hume, qui consacre à cette question (De la norme du goût, consultable en VO ici : On the Standard of Taste) un article entier dans ses Essais esthétiques. La suite de ce cours s'articule autour de ce texte surprenant, et peut se lire comme une étude d'oeuvre intégrale (je reprends ici la traduction de Renée Bouveresse, publiée chez GF Flammarion, Paris, 2000).


1) Arguments philosophiques en faveur de la diversité des goûts

L'essai de Hume s'ouvre sur le constat de la diversité des goûts entre individus, évident même à l'observateur « le plus borné ». Aussitôt, Hume élargit le propos aux différences esthétiques entre cultures, il dépasse la seule différence pour évoquer des « querelles » (il donne l'exemple du Coran, et emploie à son encontre des mots d'une violence inouïe, mais qui correspondaient aux préjugés de l'époque sur l'islâm). Au-delà de la seule question artistique, la norme du goût constitue un enjeu pour la paix publique :

Il est naturel pour nous de chercher une norme du goût, une règle par laquelle les sentiments divers des hommes puissent être réconciliés, ou du moins, une proposition de décision, qui confirme un sentiment, et en condamne un autre.

Aussitôt, cependant, Hume fait droit à l'idée selon laquelle « des goûts et des couleurs il ne faut point discuter" ; il présente même des arguments solides à l'appui de cette analyse.

a) Premier argument : la beauté relève du sentiment, et non du jugement

Il y a une espèce de philosophie qui coupe court à tous les espoirs de succès d’une telle tentative, et nous représente l’impossibilité de jamais atteindre aucune norme du goût. La différence, y est-il dit, est très vaste entre le jugement et le sentiment. Tout sentiment est juste, parce que le sentiment ne revoie à rien au-delà de lui-même et qu’il est toujours réel, partout où un homme en est conscient. Mais toutes les déterminations de l’entendement ne sont pas justes, parce qu’elles renvoient à quelque chose au-delà d’elles-mêmes, c’est-à-dire à la réalité, et qu’elles ne sont pas toujours conformes à cette norme. Parmi un millier d’opinions différentes que des hommes divers entretiennent sur le même sujet, il y en a une, et une seulement, qui est juste et vraie. Et la seule difficulté est de la déterminer et de la rendre certaine. Au contraire, un millier de sentiments différents, excités par le même objet, sont justes, parce qu’aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet.

Si j'affirme de cette table qu'elle est « haute d'un mètre vingt », je renvoie à la table elle-même - et ce que j'en dis peut être vérifié par une opération de mesure. Au contraire, le sentiment ne revoie à rien d'autre qu'au locuteur lui-même : quand je dis « les fraises sont bonnes », je ne parle pas, au fond, des fraises, mais de mon goût pour les fraises. Dès lors, mon sentiment m'apparaît toujours réel et immédiat (dès que j'en ai conscience), mais pour autrui, il s'avère toujours invérifiable. Au contraire, un jugement (une assertion quelconque portant sur un objet quelconque), sitôt énoncé, est toujours vérifiable par autrui : et pour chaque assertion, il est facile de vérifier si elle est vraie ou fausse (il suffit de... vérifier ! Soit la table mesure effectivement un mètre vingt, soit elle ne mesure pas un mètre vingt). Dès lors, parmi plusieurs jugements (on parle aussi d'opinions) différents à propos du même objet, un seul est vrai ; tandis que plusieurs personnes peuvent avoir simultanément des sentiments différents à propos du même objet, et tous ces sentiments sont, aux yeux des personnes qui les ressentent, aussi réels et justes les uns que les autres : les catégories du vrai et du faux ne s'appliquent pas au sentiment. Chercher une norme du goût se présente donc aussitôt comme une tâche impossible.

b) Deuxième argument : la beauté qualifie un rapport subjectif

Il marque seulement une certaine conformité ou une relation entre l’objet et les organes ou facultés de l’esprit, et si cette conformité n’existait pas réellement, le sentiment n’aurait jamais pu, selon toute possibilité, exister. La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. Une personne peut même percevoir de la difformité là où une autre perçoit de la beauté. Et tout individu devrait être d’accord avec son propre sentiment sans prétendre régler ceux des autres. Chercher la beauté réelle ou la réelle laideur est une vaine enquête, comme de prétendre reconnaître ce qui est réellement doux ou réellement amer. Selon la disposition des organes, le même objet peut être à la fois doux et amer ; et le proverbe a justement déterminé qu’il est vain de discuter des goûts.

Hume retrouve ici ses racines sceptiques par une allusion à Sextus Empiricus et à son exemple du  goût du vin, doux au bien-portant et amer au malade (voir le cours sur la conscience, I, 1). Pourquoi les goûts diffèrent-ils d'une personne à l'autre ? Parce qu'ils dépendent de nos organes de la perception, lesquels diffèrent d'une personne à l'autre par leur disposition et leur sensibilité. Dès lors, nos goûts expriment notre rapport personnel aux choses, et cette dimension subjective n'est jamais dissociable de notre point de vue. On peut donc distinguer, parmi les adjectifs applicables aux noms communs, des adjectifs purement descriptifs, et des adjectifs qui véhiculent un jugement de valeur. Les premiers ne sont pas subjectifs, les seconds le sont toujours. Par exemple, on peut dire de la Composition X de Kandinsky (1913, ci-contre), qu'elle s'exprime sur un fond « noir » : il s'agit d'une qualité intrinsèque de la toile ; mais si nous estimons ce fond « sinistre » ou « déprimant », nous projetons aussitôt un jugement de valeur subjectif sur l'objet et nous lui attribuons une qualité qu'il ne possède pas intrinsèquement (Kandinsky a peut-être choisi le noir du fond pour sa faculté à relever les formes colorées et ce noir, dans l'esprit du peintre, n'est peut-être ni sinistre ni déprimant).

c) Extension du deuxième argument et conclusion

Il est très naturel, et tout à fait nécessaire, d’étendre cet axiome au goût mental, aussi bien qu’au goût physique. Et ainsi le sens commun, qui est si souvent en désaccord avec la philosophie, et spécialement avec la philosophie sceptique, se trouve, sur un exemple au moins, s’accorder avec elle pour prononcer la même décision.

Hume achève son raisonnement : la distinction entre adjectifs descriptifs et adjectifs véhiculant un jugement de valeur peut s'appliquer aussi bien aux questions gustatives qu'aux productions littéraires ; et l'auteur se félicite de voir la pensée populaire se rapprocher de la philosophie sceptique, qui l'inspire.

Suite du cours : élaboration de la norme du goût.

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<br /> <br /> Blog(fermaton.over-blog.com)<br /> <br /> <br /> No-12: LA NOUVELLE PHYSIQUE AVENIR.<br /> <br /> <br /> <br />
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