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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La vérité - 8


III. La crise de la raison

Kant parvient à dépasser dogmatisme et scepticisme tout en les synthétisant ; mais il n'y parvient qu'au prix d'une redéfinition de la connaissance comme "composé" de sensations et de formes a priori de la sensibilité ; d'où un affaiblissement conséquent de la notion de vérité car, d'une part, s'il existe des phénomènes incompatibles avec ces formes a priori de la sensibilité, alors nous ne pourrons jamais les connaître (en particulier, pour Kant, l'Absolu intemporel est inconnaissable) ; et d'autre part, dans la mesure où notre esprit ne peut appréhender les noumènes que "au travers" de ces formes a priori de la sensibilité, alors nous ne pouvons jamais espérer saisir la vérité même des noumènes, des choses telles qu'elles sont "en réalité" : tout au plus parviendrons-nous à proposer une description à peu près correcte des phénomènes - c'est-à-dire des objets tels qu'ils nous apparaissent à nous, pauvres humains, à travers le "filtre" brumeux de nos intuitions pures (Ci-contre, toile de Turner, Sunrise with sea monsters, 1849)

En somme, nous pouvons formuler ce qui, à tous points de vue pratiques, constituera pour nous humains une "vérité" à propos des phénomènes : parce que, de facto, cette formule rendra compte de ce que les humains, en tant qu'humains, observent devant ce phénomène (la formule sera donc admise universellement, ainsi les lois de Newton) ; mais il n'existe à première vue aucune raison de penser que cette formule rend compte de l'intégralité du noumène que ce phénomène indique. Autrement dit : il n'y a aucune raison de penser que notre formule "universelle" soit "adéquate à la chose" ; et, pire, nous n'aurons jamais le moindre moyen de déterminer cette adéquation ou cette inadéquation, puisque nous n'avons pas d'accès direct et "pur" (c'est-à-dire sans mélange de structures mentales a priori) au noumène.

Fracas terrifiant ! Kant ne nie pas que nous ayons un "point de contact" avec le réel, mais il nie que ce point de contact ait les qualités requises pour nous donner une vue claire, distincte, exacte, lucide, exhaustive et rigoureuse (c'est-à-dire, pour résumer, "vraie") du réel. Ce faisant, il prépare l'événement philosophique majeur du XXè siècle : la "crise de la raison".


1) Le rationalisme moderne et ses critiques

Rappelons, à titre préliminaire, que les promesses de la raison (promesses de pouvoir, de liberté, de bonheur et de paix) s'appuyaient toutes sur la possibilité d'atteindre une vue lucide (donc efficace) sur le réel. On voit facilement ici comment Kant fissure le socle du rationalisme moderne. Pourtant, la position de Descartes et de ses héritiers n'avaient pas manqué, avant Kant, de soulever plusieurs critiques. Pour les comprendre, il convient de dégager les présupposés du rationalisme. On en dénombre trois.

- L'univers présente une cohérence (un "ordre du monde") : même si un phénomène semble à première vue inexplicable, il doit quand même pouvoir s'expliquer par les "lois de la nature" (ou par le "plan de Dieu"). Poincaré l'exprime par cette formule ramassée : "Le miracle, c'est qu'il n'y a pas de miracle." Dans une version croyante, Leibniz estime que, si "miracle" il y a (c'est-à-dire intervention directe de Dieu dans le cours du monde par des moyens surnaturels - ainsi l'ouverture de la mer Rouge devant les Hébreux - ci-contre, fresque du 4è siècle, catacombes de Rome), ce "miracle" s'explique néanmoins parce que Dieu a ses raisons (pour Leibniz, le surnaturel, parce qu'il sert les plans d'un Dieu à la fois tout-puissant et tout-sage, n'est pas irrationnel).

- La raison humaine parvient à connaître cette cohérence. Comment ? Nous n'en savons rien, et peut-être n'en saurons-nous jamais rien : Einstein lui-même remarque que "La chose du monde la plus incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible." Pourtant, ce mystère n'a, jusqu'à une période récente, guère troublé la pensée occidentale : et de fait, par son efficacité même, par sa puissance de prédiction, par son aptitude à concevoir des objets techniques "qui marchent", la raison a souvent paru "en prise" avec l'ordre de l'univers.

- La raison humaine parvient dans la plupart des cas à dominer les autres inclinations humaines (notamment les passions, les appétits et les désirs) et à gouverner nos choix.

Tout philosophe qui soutient ces trois présupposés (par exemple Epictète, Descartes, Leibniz...) peut être dit "rationaliste". Qu'un seul de ces présupposés soit abandonné par un auteur, et l'on ne peut plus le qualifier de "rationaliste".

Une tradition bien antérieure à Kant rejetait le troisième présupposé ; ainsi lorsque Pascal écrit : "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point" ; ou lorsque Rousseau s'exclame : "la froide raison n'a jamais rien fait d'illustre" (voir aussi ce cours) ; ou bien encore lorsque Epicure fait du plaisir l'unique moteur de notre vie. De nombreux philosophes niaient ainsi que la raison pût toujours sortir victorieuse d'un affrontement avec nos inclinations irrationnelles ou animales. Cette tradition a connu, à partir de la deuxième moitié du XIXè siècle, un développement inattendu chez certains héritiers de Hegel, lesquels ont soutenu que la raison humaine individuelle (donc solitaire) était totalement incapable de surmonter les déterminismes du groupe : ainsi pour Marx les destins individuels se trouvent-ils contraints par un mouvement historique beaucoup plus vaste, celui de la "lutte des classes". Même son de cloche dans la pensée sociologique - notamment chez Durkheim - pour qui l'ordre social domine entièrement les impulsions personnelles.

Cependant, et ce point est évidemment capital pour la compréhension de notre civilisation, non seulement une majorité, mais à ma connaissance tous les philosophes occidentaux jusqu'à une période très récente soutenaient les deux premiers présupposés rationalistes ; et non seulement les philosophes, mais aussi la plupart des religieux, des mystiques, et même des poètes. Lorsque Ovide, l'auteur si imaginatif et si audacieux des Métamorphoses, écrit "Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal", il conteste le troisième présupposé et affirme les deux premiers d'un même souffle.

Il faut attendre le début du vingtième siècle pour que les deux premiers présupposés se voient ébranlés de manière sérieuse ; de manière brutale ; de manière irrévocable ; et le plus surprenant dans cette histoire, c'est que les attaques les plus violentes contre la forteresse sont venues... des sciences, y compris des sciences exactes, c'est-à-dire de ceux qui, à première vue, étaient les mieux placés pour défendre la raison cartésienne bec et ongles.


Suite du cours : la raison à l'épreuve du monde contemporain.
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