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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Travail, technique, technologie - 8

III. La technologie

Avant d’examiner la question des conséquences politiques de la technologie, il convient d'opérer une clarification des termes. La
« technologie » désigne l'ensemble des objets matériels produits par le travail dans un but utile. Elle se distingue ainsi de la technique, celle-ci désignant non des objets mais des actes réglés. Une clef de douze appartient à la technologie ; le fait de savoir quelle clef employer dans quelle situation relève de la technique. Cependant, la technologie est parfois désignée par le terme « technique », notamment dans l’expression « progrès technique » (d'où une ambiguité sur le mot « technique » : un sujet de baccalauréat qui porterait sur la technique exigerait des copies qu'elles signalent cette ambiguité et qu'elles la lèvent). Dans un sens, on peut dire de la technologie qu'elle constitue le résultat d'un travail sur la technique. Réfléchissant à la technique du tissage, l'ingénieur peut chercher à la faciliter et ainsi oeuvrer à construire un métier à tisser. Le travail peut donc porter sur lui-même et se présente ainsi comme potentiellement porteur d'un progrès.

Signalons également trois autres distinctions classiques. Parmi les objets technologiques, au sein des objets non articulés, on oppose volontiers l'outil (destiné à l'artisanat comme le marteau, le tournevis, la binette...) et l'instrument (destiné aux métiers
« nobles » : ainsi la lyre, la balance, le bistouri...). Ces objets non articulés se distinguent habituellement des « machines » articulées, à commencer par les plus simples comme la poulie ou la charnière, et jusqu'aux plus complexes comme l'avion ou la chaîne de montage. Enfin, et de manière plus récente, on sépare les machines mécaniques des machines électroniques.

Il convient quand même de ne pas trop prendre au sérieux ces distinctions, qui s'avèrent beaucoup plus floues qu'on ne le croirait à première vue. Un orgue (ci-contre, l'orgue de la cathédrale de Sens) constitue une mécanique d'une très grande précision, notamment par son clavier articulé, et il entre cependant dans la catégorie des instruments de musique. La plupart des engins de chantiers, parents des véhicules modernes, prennent le nom générique de
« machines-outils ». Un levier simple n'est pas articulé, et cependant on le classe d'ordinaire parmi les machines. Enfin, d'autres catégories comme les ustensiles et les armes pourraient être esquissées.

La distinction entre objets articulés et non-articulés possède cependant son importance éthologique et anthropologique. L'observation des animaux supérieurs montre qu'ils savent employer des outils (ainsi le singe qui plonge un bâton dans la termitière, ou le rapace qui laisse tomber une pierre pour fracasser la carapace d'une tortue) ; mais ils semblent incapables d'imaginer et de façonner des objets articulés. La distinction entre outil et machine correspondrait à la frontière entre animal et humain.


1) La valeur ambiguë de la technologie

Caractéristique de l'humain, la technologie a d'abord pour but de faciliter le travail, auquel elle se substitue. Un individu débrouillard peut certainement utiliser une grosse pierre en lieu et place d'un marteau ; mais le marteau, avec son manche au diamètre et à la longueur étudiées pour multiplier la puissance de frappe tout en restant bien en main, rend le labeur beaucoup plus rapide et sûr. De même, la brouette permet de transporter d'un coup un ensemble d'objets dont le déplacement exigerait  plusieurs va et vient. L'objet technologique se présente donc d'abord comme un multiplicateur de puissance, et par conséquent comme un libérateur de temps. Dans des stades plus avancés, certaines tâches sont même intégralement accomplies par la machine. La moissonneuse-batteuse ou le moulin, par exemple, modifient du tout au tout le métier effectif du cultivateur ou du meunier ; le lave-linge supprime toute une série d'opérations fastidieuses et dures comme le battage ou l'essorage. Enfin certaines machines parviennent à accomplir un certain nombre d'effets rigoureusement impossibles sans elles. La voiture permet de dépasser la vitesse moyenne d'un cheval au galop, considéré jusqu'en 1900 comme un maximum indépassable (il faut penser que la Grande Armée de Napoléon avance exactement à la même vitesse que les légions de César). Le télégraphe, puis le téléphone, permettent le transfert d'informations presque instantané (alors que, jusqu'au début du XXè siècle, l'information se déplaçait au rythme de la malle-poste). La centrale nucléaire déploie une puissance électrique supérieure à celle d'un orage violent. L'ordinateur effectue en quelques minutes des séries de calculs qu'aucun humain ne pourrait achever, même en y consacrant sa vie entière.

Le progrès technologique, caractéristique du monde moderne (c'est-à-dire depuis le XVIè siècle), a connu, au cours des cent dernières années, une accélération vertigineuse. En moins d'un siècle, les machines ont amélioré tous les aspects de la vie quotidienne, la modifiant en profondeur. Tâches ménagères, travaux de force, agriculture, industrie, transports, loisirs, santé, aucun secteur de la production n'échappe aujourd'hui à l'emprise des outils mécaniques ; et très spontanément, ainsi que le fait Francis Bacon dans sa Nouvelle Atlantide (disponible ici en VO et en texte intégral) publiée en 1627, l'on se prend à rêver à un univers où la production serait intégralement accomplie par les machines. Des robots oeuvreraient à la place des humains, lesquels n'auraient qu'à donner des ordres pour qu'on leur apporte à manger, à boire, de quoi se vêtir etc. Les individus, libérés de tout travail aliénant, pourraient alors se consacrer à une vie de loisirs - entendons par là non une vie oiseuse faite de paresse et d'ennui, mais bien une vie d'otium (
« loisir », en latin) consacrée au débat politique, à la création artistique, à la recherche scientifique et à la contemplation métaphysique.

Ce rêve, toutefois, se tempère par deux limites. La première, froidement réaliste, remarque que le fonctionnement des machines requiert un apport d'énergie. Le robot débranché n'est qu'un tas de ferraille. Même si l'ingéniosité humaine a pu imaginer des machines à produire de l'énergie - comme l'éolienne ou la centrale hydroélectrique - il reste malgré tout un grave souci : l'explosion extraordinaire de la technologie au cours des cinquante dernières années dépendait d'une source d'énergie prodigieuse, à la fois abondante, bon marché et très pratique à conditionner : le pétrole (dont la chimie, par ailleurs, permet des applications dans des domaines aussi variés que la pharmacie, les vêtements, les emballages alimentaires, la construction automobile, le bâtiment, les cosmétiques, les détergents...). La flambée actuelle du cours du baril, qu'on ne peut imputer à des événements géopolitiques (contrairement aux
« chocs » déclenchés dans les années 70), semble pourtant indiquer que cette ressource naturelle atteint en ce moment même un stade de raréfaction. Des raisons sérieuses et nombreuses poussent aujourd'hui une foule d'experts à croire que nous entrons dans une période de l'histoire économique dominée par une énergie coûteuse. La conséquence philosophique de ce fait paraît claire : la déplétion pétrolière contraindra, à brève échéance, à considérer la « civilisation occidentale contemporaine » pour ce qu'elle est : une parenthèse tout à fait atypique, une période complètement anormale d'emballement dans l'industrialisation. L'écrasante majorité des machines qui nous sont familières disparaîtra bientôt, faute de carburant pour les alimenter, ou faute de plastiques pour les réparer. La croissance et le progrès appartiennent à une époque déjà révolue. Nous devrions, estiment ces experts, penser notre monde en termes de décroissance - qu'il faudrait choisir dès aujourd'hui plutôt que de la subir demain.

La seconde limite relève, pour sa part, de la littérature de fiction : après l'outil qui facilite le travail manuel, après la machine qui accomplit une série de tâches sans intervention humaine, après l'ordinateur qui calcule plus vite que nous, l'étape suivante paraît inévitable : la création d'un cerveau électronique (ci-contre à gauche, le champion d'échecs Gary Kasparov vient de perdre contre l'ordinateur Deep Blue). Pour l'heure, les ordinateurs sont encore programmés par l'humain ; mais nous savons déjà construire des machines capables de
« s'adapter » à un environnement évolutif et d'apprendre de leurs erreurs et de leurs succès. Certains programmes de recherche informatique demandent ainsi à l'utilisateur s'il est « satisfait » par la réponse proposée. Selon la réaction reçue, le programme change pour s'adapter à la singularité des goûts de son propriétaire. Cette capacité de mémorisation s'apparente à l'intelligence ; alors pourquoi ne pas avancer encore d'un pas et imaginer une machine consciente ? Consciente non seulement de l'existence des humains et de leurs préférences, mais également consciente de sa propre existence ? Pourquoi ne pas imaginer une machine capable de conceptualiser le cogito  cartésien ? (Sur ce point, voir le cours sur la conscience réfléchie.) Sitôt formulée une telle éventualité, cependant, la littérature d'anticipation envisage toujours les conséquences en termes désastreux pour l'humanité. Consciente d'elle-même, la machine découvre aussitôt sa propre puissance, dont elle constate qu'elle dépasse, et de loin ! les capacités des humains. Elle se rebelle contre ses propriétaires, secoue le joug qui l'écrase et finit par prendre le pouvoir. La trilogie Matrix (films de Andy et Larry Wachowski ; ci-contre, Keanu Reeves interprète Neo en pleine action contre M. Smith, joué par Hugo Weaving) exploite ce thème d'un renversement des rôles entre l'humain et la machine, celle-ci finissant par réduire celui-là en esclavage ; mais telle était déjà l'intrigue de la première oeuvre qui introduisit le néologisme « robot », R. U. R. (les « Robots Universels de Rossum », pièce de l'auteur tchèque Karel Capek, 1920 ; « robot » signifie « travail forcé » en tchèque). Dans une veine similaire, l'extraordinaire série de nouvelles et de romans des Robots par Isaac Asimov part du principe que, pour éviter toute rébellion ou tout crime commis par un robot, chaque cerveau électronique est programmé avec trois lois hiérarchisées : (1) Un robot ne peut blesser un être humain ni, restant passif, laisser un être humain exposé au danger. (2) Un robot obéit aux ordres des humains sauf si l'ordre reçu entre en contradiction avec la première loi. (3) Un robot préserve sa propre existence sauf si cette préservation entre en conflit avec la première ou la deuxième loi. En apparence, tout est clair ; mais l'esprit logique et inventif d'Asimov imagine justement une série de situations vraisemblables où ces lois, bien programmées et correctement « exécutées » par les robots, donnent lieu à des « paradoxes », des cas dans lesquels les machines ne savent plus comment procéder, agissent de manière imprévisible ou même parviennent à échapper à l'une des deux premières lois.

Ces deux limites du rêve technologique paraissent, à première vue, bien éloignées de la philosophie. Je tente d'expliquer, à la fin de mon édito sur le pétrole, pourquoi la question énergétique pose un problème fondamentalement philosophique ; quant à la deuxième limite, elle s'enracine à double titre dans la philosophie contemporaine. D'une part, elle associe intimement conscience réfléchie et revendication de liberté, suivant en cela l'existentialisme sartrien (sitôt capable de conceptualiser sa propre existence, le robot revendique sa liberté d'action) ; d'autre part, dans une perspective marxisante, elle associe travail et misère (le robot devenant une image du prolétaire).

Il convient encore de remarquer que l'analyse à l'oeuvre derrière ces romans de fiction s'appuie en grande partie sur la sensation d'une dépendance de plus en plus marquée de l'humain envers la technologie. Même sans verser dans la narration apocalyptique de la prise de pouvoir par les machines, il est assez facile d'admettre que les humains sont aujourd'hui dépendants des machines à un degré extrême. Quel automobiliste accepterait de se passer de voiture de gaieté de coeur ? Combien d'adolescents prétendent qu'ils
« ne pourraient pas vivre » sans télévision ou sans téléphone portable ? De telles phrases sont-elles seulement des hyperboles ?

Comme le remarque Marx (dans le texte proposé en II. 3 du présent cours), l'objet produit par l'humain vampirise en quelque manière la vie de l'ouvrier, qui
« s'oppose à lui, hostile et étrangère ». Le mode normal de rapport aux objets produits est celui de l'insolite, de l'étrange, du différent. Déjà Rousseau nous mettait en garde contre l'effet sournois de la technologie.

[Lors de l’invention de la technologie], avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d’un fort grand loisir l’employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder.
Rousseau, Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

La force de l'habitude, et la recherche du moindre effort, nous inciterait malgré nous à faire confiance à la technologie, et à nous conduire comme si elle ne devait jamais nous faire défaut ; mais cette foi aveugle secrète notre profonde faiblesse. Dans le roman Ravage, René Barjavel imagine une apocalypse déclenchée par la seule disparition de l'électricité. Le désarroi des personnages, qui versent dans le désespoir et frôlent la démence, dit, en creux, notre profonde dépendance à la technologie ; et une aspiration à la liberté nous conduit à nous méfier, voire à rejeter, toute dépendance (voir le
cours sur la liberté).

Ce premier positionnement de l'objet technologique (dont nous sommes dépendant, donc qui limite notre liberté) se double d'un second positionnement par rapport à la nature (voir le cours sur nature et culture). Cette dernière se trouve presque toujours connotée, et souvent de manière extrême : l'image que les Occidentaux se font de la nature ne sort presque jamais de deux clichés antiques : la terre-mère, prodigue et providentielle, et la nature-marâtre capable de déchaîner contre les humains toute la rage aveugle des cataclysmes ou des épidémies. Face au naturel se dresse l'artificiel, l'ingéniosité humaine matérialisée par des objets techniques. Dès lors, la connotation associée à la nature se répercute, inversée, sur la technologie. Pourvu qu'on redoute la nature-marâtre, on verra dans la technique une planche de salut ; pourvu qu'on idolâtre la terre nourricière, on blâmera la technologie, moyen et résultat de notre dénaturation vicieuse.

Aussi paraît-il très difficile de penser la technologie sans fantasme ; et cependant, une question mérite d'être posée. Sitôt qu'on replace l'humain parmi les animaux, ainsi que nous y incite Darwin, alors la pertinence de l'opposition entre naturel et artificiel paraît douteuse. Certes, les locomotives ne poussent pas dans les arbres : dans ce sens, la locomotive n'est pas
« naturelle » ; mais il faut remarquer que la fourmillière, ou le barrage des castors (ci-contre, photographie (c) Jean-Claude Jacob), ne poussent pas non plus sur les arbres. Si l'humain est un animal comme un autre, pourquoi - et au nom de quoi - distinguer son travail du labeur des autres animaux ? Affirmera-t-on qu'une locomotive ou une bombe atomique sont « plus nocives » que la fourmillière ou le barrage des castors ? Sans doute : mais sont-elles plus nocives que le météore qui, percutant la Terre voici environ 65 millions d'années, fit disparaître toutes les formes de vie supérieures, notamment les dinosaures ?

Pourquoi opposer naturel et artificiel ? Cette distinction ne trouverait-elle pas son origine dans le drame cosmique de la conscience (voir le cours sur la conscience et la subjectivité, I. 3), laquelle place inévitablement le sujet en position de spectateur, à part du monde, exception à l'univers, lequel lui paraît aussitôt hostile et inhospitalier ? Dans une telle perspective, la subjectivité réduite à un simple sentiment trompeur, la nature pourrait perdre toute connotation : elle ne serait ni
« bonne » ni « mauvaise » : elle se contenterait d'être, tout simplement. La technologie cesse alors d'être perçue comme autre chose qu'une production un peu plus ingénieuse (mais pas beaucoup plus) que les barrages des castors, lesquels sont des animaux un peu moins malins (mais pas beaucoup moins) que les humains. La technologie, dans la même perspective, pourrait s'affirmer, comme la nature, comme moralement neutre.

Cette analyse, d'ailleurs, trouve de nombreux arguments, à commencer par le plus simple : si la bombe atomique permet de tuer beaucoup d'humains rapidement, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un cas extrême ; et qu'en réalité, la plupart des objets techniques permettent des emplois très divers. Certains films d'épouvante ont su exploiter à merveille cette idée de l'objet banal détourné de ses fins habituelles pour devenir une arme d'une terrifiante efficacité. Sans aller jusque-là, une voiture permet aussi bien de partir en vacances que de s'enfuir après un braquage. De même certains objets de prime abord dangereux, comme les poisons, permettent, correctement dosés, la confection de médicaments. Dès lors, il est assez facile de remarquer qu'il n'existe pas, à proprement parler, d'objet dangereux : il n'existe en réalité que des humains dangereux (d'ailleurs, on peut fort bien tuer autrui sans avoir recours à un instrument : les mains nues suffisent). La nocivité ou l'innocuité de la technologie dépendent entièrement de la moralité des fins poursuivies par celui qui utilise cette technologie. Autrement dit : il s'agit d'un problème moral et politique.


Suite du cours :
« science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».

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S
<br /> <br /> n'ocultez vous pas dans votre cours la dimension sociologique du travail ?<br /> <br /> <br /> Le travail est aujourd'hui La Valeur en commun a (presque) tout les humains, et en tout cas dans nos sociétés occidentales. Si le travail disparaissait, quelle valeur pourrait prendre sa place<br /> comme ciment de la société ?<br /> <br /> <br /> <br />
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R
Merci de montrer que si technologie ne rime pas forcément avec apocalypse, elle ne rime pas non plus avec progrès. Ce ne serait pas un beau sujet ça: N'y a-t-il de progrès que technologique? Peut-être un peu orienté le sujet parce que je vois mal comment répondre oui.
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