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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Nature et culture - 4


3) Dénaturer

L'analyse de Kant, cependant, induit un aménagement important des rapports entre nature et culture au sein de l'individu.

Dans la vision classique, le savoir et l'instruction surplombent nos aptitudes naturelles, qu'ils dissimulent et font taire. Au socle de nos aptitudes innées, il suffit d'adjoindre un "étage" supplémentaire d'instruction qui peut censurer nos penchants naturels, mais ne les modifie pas (comparer avec la conception pascalienne de la guerre intérieure entre raison et passions dans ce cours).

Au contraire, chez Kant, notre nature présente une sauvagerie totale qui nous tiendrait rebelles à toute instruction si nous ne nous mettions d'abord en peine, par la discipline, de modifier et d'altérer nos réflexes, notre impulsivité. Il ne s'agit pas seulement d'enseigner et d'éduquer : il faut défricher, labourer, "amender" (au sens agricole et moral) l'élève. Disons le mot : il faut le dénaturer (Nietzsche se fait l'écho de cette conception, voir le texte dans ce cours ; on comparera aussi avec profit cette conception de l'éducation avec l'idée d'un "travail contre-nature", dans ce cours).
En somme, un individu instruit n’est pas un animal savant parce que, pour s’instruire, il lui a fallu une éducation, laquelle fait de lui tout autre chose qu’un animal (ci-contre, photographie (c) Golden Retriever Gifts).

A ce stade, toute forme d'éducation prête le flanc à une critique facile : violence écrasante qui meurtrit notre part la plus authentique et la plus spontanée, l'éducation, en faisant des élèves des "animaux dénaturés", les conduit forcément à une hypocrisie regrettable, et surtout à une guerre intestine qui fait leur malheur. Comme le proclame le choeur des adolescents révoltés dans l'esprit de Pink : "We don't need no education / We don't need no thought control / No dark sarcasm in the classromm / Teachers leave the kids alone !" (dans le film d'Alan Parker Pink Floyd The Wall, sur un scénario de Roger Waters, photographie ci-dessous (c) Alan Parker / Pink Floyd / MGM). D'ailleurs, laborieuse, maladroite, tâtonnante, l’éducation est l'oeuvre "humaine, trop humaine" (selon la terrible expression de Nietzsche) d'une génération sur une autre, comme le souligne la première phrase du texte de Kant dans ce cours. Qui sont donc les instituteurs et les enseignants, pour juger ce qui est "bien" pour la génération nouvelle ? Ne serait-il pas opportun, avant de se piquer "d'éduquer" quiconque, de réfléchir aux conséquences funestes de toute éducation, quelle qu'elle soit, sur la spontanéïté, sur la fraîcheur d'esprit, sur la joie ?


Sans aller jusqu'à rejeter toute éducation, ne faudrait-il pas, dans la droite ligne du programme de Montaigne, examiner minutieusement l'âme "brute" de l'élève pour contempler ses talents et ses vices, afin, ensuite, de les épanouir et, le cas échéant, de les corriger, en gardant toujours à l'esprit que ces interventions doivent être aussi légères que possible ? Après tout, n'a-t-on pas quelque raison de penser que les artifices humains font, d'une manière générale, "moins bien" que la nature ? Rousseau, dans un parallèle saisissant, écrit, à la première ligne de l'Emile, où il ambitionne d'éduquer le héros éponyme en vue de faire de lui "un homme naturel en société" : "Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme".

Le stade naturel, perçu comme concurrent du stade culturel, pose cependant un problème épineux.
Puisque l’éducation n’est pas seulement une "adjonction" à notre nature mais aussi une modification de cette nature, il suit qu’on ne peut pas retrouver la nature humaine par un simple "dépouillement", par une simple "soustraction" des faits sociaux et culturels. L'amnésique complet ne se confond pas avec "l'humain au naturel". L'absence même d'éducation, comme cela arrive à Victor, l'enfant sauvage (voir le film de François Truffaut, ainsi que l'article de MM. Perea et Morenon disponible ici), ne nous renseigne peut-être pas plus car, n'ayant pas vraiment pu développer ses talents et ses dispositions naturelles, Victor s'apparente sans doute à la bête brute, mais il n'est pas certain que l'humain naturel s'y identifie.

Dès lors, débrouiller la nature de la culture, tenter de saisir l'humain naturel, paraît une entreprise délicate. Voltaire, apprenant le projet de Rousseau, lui écrit : "Mon cher ami, venez, que nous allions brouter l'herbe de nos campagnes pour retrouver le bon goût de la sauvagerie." Comme à son habitude, il instruit un mauvais procès. Rousseau ne dissimule nullement la difficulté :

Comment l’homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l’a formé la nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire dans sa constitution originelle […]. Semblable à la statue de Glaucus que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu’elle ressemblait moins à un dieu qu’à une bête féroce, l’âme humaine altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes […] a, pour ainsi dire, changé d’apparence au point d’être presque méconnaissable […].
Ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progrès de l’espèce humaine l’éloignant sans cesse de son état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connaissances, et plus nous nous ôtons les moyens d’acquérir la plus importante de toutes, et que c’est en un sens à force d’étudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de le connaître.
[…] Car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent.
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements
de l’inégalité parmi les hommes


Toute tentative de "connaître" cet humain naturel relève d'une tentative culturelle : il existe manifestement une contradiction dans les termes (photographie (c) Jean Dziudzia). L'entreprise n'est pas entièrement vouée à l'échec ; mais il est clair que "l'humain naturel" ne pourra se présenter qu'à titre d'hypothèse de travail, de fiction éclairante, écrite sur le mode mythique.
Ce n’est en aucun cas un moment historique ni un stade vérifiable de l’évolution de l’espèce : le point de départ rousseauiste n'est pas scientifique. La version qu'imagine ensuite Rousseau (un primate placide adapté à son environnement, vivant en groupes sociaux élémentaires centrés sur la procréation et la protection des jeunes) n'est pas la seule possible. On pourrait en concevoir d'autres comme le "chaînon manquant" ou "Tarzan".

Pourquoi, alors, Rousseau se lance-t-il dans une entreprise aussi hasardeuse, aussi contestable ? Parce qu'on ne peut pas légitimement s'y soustraire. Si nous soutenons, comme nous le faisons depuis le début de ce cours, que la culture et l'éducation constituent des progrès, des améliorations, encore faut-il savoir par rapport à quoi. Prendre parti pour ou contre l'éducation requiert (ou présuppose) une idée, ou en tous cas une image, de ce que serait un humain sans éducation. Il faut donc esquisser, malgré l'incertitude de cette démarche du point de vue scientifique, un portrait de l'humain naturel.

Aussi toute critique de l’éducation au nom d’une "nature" humaine spontanée supposée bonne doit être sévèrement mesurée, et très prudemment exprimée, puisque justement nous ne sommes pas sûrs de ce portrait que nous traçons. La cruauté, la haine, la vengeance, la sournoiserie aussi existent chez l'humain, et elles semblent parfois apparaître même chez des individus ayant reçu une éducations qui ne les y poussait nullement. Ménageons-nous la possibilité que la "nature" humaine ne soit pas foncièrement morale, solidaire ou sympathique.

Ménageons-nous aussi la possibilité que la nature ne soit pas parfaitement discernable de la culture, au moins au niveau de l'individu ; et nous avons quelque raison de le penser car à l'évidence, la culture et l'éducation constituent des phénomènes d'interaction entre humains appartenant à un même groupe. Si, donc, nous semblons arriver ici dans une impasse, c'est peut-être parce que nous ne nous sommes pas placés au niveau correct de réflexion. Quittons, donc, l'individu et passons à l'échelle du groupe social.
 

Suite du cours : la culture, caractéristique d'un peuple.
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A
<br /> <br /> Je pense qu'il y a comme une actualisation de la culture, certains préfére l'état de culture passé comme un idéal. Le fait de culture présente rassemble deux notions donc je pense deux notions de<br /> vie. Soit le fait de vivre au présent, soit le fait de troujours vouloir accéder à une culture. Ces deux façon de voir se montre peut être dans le fait de liens, de comparaison, dire que cela<br /> tend vers un idéal, peu être. L'origine d'une personne résonne en termes de culture. Je pense si on a déjà construit son idéal on peut accueillir une personne ayant un idéal différent. <br /> <br /> <br /> <br />
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M
Suite...Impossible de dire que le racisme est une invention française. Impossible de la dire aujourd'hui à Dakar devant mes élèves mais aussi de le dire tout court...Qu'en pensez-vous?
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